vendredi, décembre 30, 2011

réponse à un commentaire...


Aujourd'hui, je suis tombé sur un lien intitulé: "Hommage à vicky, sdf décédé à Noêl ou le cruel spectacle de la mort"

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/226881;hommage-a-vicky-sdf-decede-a-noel-ou-le-cruel-spectacle-de-la-mort-des-miserables.html

Un ami sur fb l'avait partagé, j'ai bien sûr relayé ce texte rappelant que nous avons chacun un rôle à jouer dans ce système: soit nous l'acceptons et l'aidons à perdurer ou ne faisons rien, soit nous le combattons.
Depuis quelques temps, j'ai décidé de le combattre parce qu'il est basé sur de criantes injustices, parce que je reste la petite fille qui ne comprenait pas pourquoi des enfants en Afrique mourraient de faim, alors que je pouvais manger comme quatre, si je le souhaitais.... sauf qu'au lieu de me sentir impuissante, je combats pour des jours meilleurs, pour plus de solidarité et de fraternité...

Suite à cette publication, une autre personne de ma liste d'amis affirme que les familles sont également responsables et que certains de ces sdf ne souhaitent pas se prendre en mains... Donc en gros à un moment donné, il faut arrêter de pleurer sur leur sort (si j'ai bien compris sa dernière intervention)
Evidemment, je réagis au quart de tour et je lui écris ceci, en guise de réponse:



ce n'est pas pleuré sur leur sort ce n'est pas de la pitié c de l'empathie, me dire qu'après tt je pourrais moi aussi être à leur place...qui sait? je sais aussi que certains ne peuvent plus être sauvés... je sais aussi que les relations familiales st svt très compliquées... je sais aussi que par pudeur, fierté ou orgueil certains n'osent pas demander de l'aide qd cela devient nécessaire (peut-être aussi à cause d'un sentiment de culpabilité qui joue parfois des tours, le sentiment d'avoir échouer, d'être un fardeau)... je sais aussi que pauvres et chômeurs et dc sdf ont tjs été nécessaires pour ces quelques autres qui s'enrichissent allègrement et s'empiffrent joyeusement.... le problème n'est pas que certains choisissent la rue,ni que certains soient trop saouls ou trop drogués ou trop fainéants, ni que certaines familles ne savent plus comment aider un être, leur proche, qu'elles ne comprennent plus ou qu'elles ne cherchent plus à comprendre et dc à aider... le problème est global et du à un système basé sur l'injustice... et comme V.Hugo je pense que la misère peut être combattue et anéantie à condition de le vouloir.

Le résumé de ma pensée, long commentaire... et je me suis dis peut-être qu'il serait bon de l'inclure dans un de mes articles... puisqu'il n'est sans doute pas le seul à penser ainsi et vice versa.
Suite de ma pensée:
ne pas détourner le regard de ces personnes vivant dans la rue, ni les regarder comme des voyeurs (un peu comme certains ralentissent lorsqu'il y a un accident sur l'autoroute)
sourire voire échanger quelques mots même si nous ne pouvons pas lâcher une pièce ou un ticket restaurant
leur fournir une adresse postale (ce qui peut les aider pour leur recherche d'emploi par exemple)
savoir ce qu'ils aiment, leur compétence, ce qu'ils recherchent
en bref les traiter en être humain, tout simplement

mercredi, décembre 28, 2011

Découverte d'un artiste... Benjamin Vorms


Hier soir, pas grand chose de prévue, si ce n'est la peur inexplicable de me retrouver devant la télé... Par un heureux hasard, un coup de fil,reçu par l'homme de ma vie, m' a permis de ne pas connaître cette triste fin. En effet, nous nous sommes retrouvés rue de Seine, au 25 plus précisément. Il s'agit d'une galerie, un peu vieillotte, portant le nom d'Etienne de Causans: son créateur sans doute. Je vous donne ce détail, étant donné que le numéro n'est pas indiqué sur la porte.
Le plus intéressant se situe en sous-sol... Ces derniers temps,les sous-sols m'inspirent beaucoup à dire vrai... Mais revenons à notre sujet.
De la peinture, voilà le sujet. L'artiste joue sur le noir et blanc, les ombres. Il joue également sur des figures légendaires telles que les vanités ou la mythologie grecque. Il sait également s'inspirer des comics et de l'univers de Sin City.
Il a également su retenir les leçons des grands maîtres... Je pense à Rembrandt et Vermeer pour son "jeune fille à la perle", à Goya surtout dans sa façon de créer un regard sans regard justement, un regard à vous glacer le sang, un regard remplit de folie ou de détresse.
Il a également la fâcheuse faculté à rendre vivant ses personnages, au point que certains d'entre eux vous obsèdent tout au long de votre visite et même bien après.
Oh pas de mauvaises compagnies loin de là, juste votre imagination qui vous joue des tours et s'amuse à inventer tout un destin à ces inconnus réels ou imaginaires.
Si vivants enfin que certains ressemblent à des photographies, instants précis et précieux, instantanés d'un présent déjà passé.
D'autres enfin sont comme des apparitions éphémères, comme cachées par l'ombre telle du brouillard ne révélant que le haut du visage ou une moitié, négatif d'une vieille pellicule rendant le personnage un peu flou,et de ce fait plus inquiétant.
Un artiste à découvrir jusqu'au 5 janvier... et ce serait dommage de passer à côté!

dimanche, novembre 13, 2011

10 mn pour un tableau (Dali, "Impressions d'Afrique)


Règle du jeu: un tableau ou plutôt une reproduction de tableau, un cahier et un crayon.
10 mn pour écrire quelque chose, une description ou même une histoire.


De suite, je reconnais Dali: quelque chose dans les couleurs employées, la forte présence du désert, comme dans un autre de ses tableaux (dont j'ai oublié le nom, c'est une habitude) qui montre notamment une horloge se diluer totalement, s'écouler comme le sable dans son sablier.

Au premier plan à gauche, le peintre peint, son chevalet lui masque le visage. A son regard comme envoûté, possédé, je l'identifie comme étant Dali, lui-même, à la fois auteur et personnage de son tableau.
Il tend la main vers nous, soit le spectateur est son modèle, soit il s'agit d'un appel lointain pour retrouver, se cramponner à un de ses souvenirs.
Seul son visage et sa main semblent être éclairés. Tout le reste se trouve dans l'ombre, l'oubli peut-être.
Sur lui, un tissu rouge, qui bizarrement me fait penser à la corrida. Il y a quelque chose violent de cette étoffe.
Derrière lui, un homme assis, recroquevillé sur lui même, la tête dans les genoux, désespéré, peut-être perdu dans ce désert.
Au fond, à droite dans les montagnes, un groupe d'hommes vêtus de blanc, une grande bâtisse, avec en surimpression un visage, celui d'une femme, sans doute la femme aimée. Ce visage est comme une photographie sur le reste de la peinture. Il est le seul réellement discernable.
Est ce que dans ce voyage toutes les pensées du peintre se tournaient vers elles?
Au fond à gauche un autre groupe: un guitariste, un homme debout sans visage ou du moins au visage effacé, à côté un homme à chapeau au torse gommé. Derrière eux des ombres noires dans une grotte.
Il s'agit du pouvoir du peintre sans doute: celui de créer, d'effacer ce qu'il fait, de repasser par dessus, de nous donner à voir sa propre réalité.
Plus que des souvenirs, une sorte de rêve, de cauchemar plutôt, tant le paysage semble rude, hostile à l'homme.

jeudi, octobre 13, 2011

Aragon "Le roman inachevé"


Je voudrais vous partager ici: "Prose du bonheur et d'Elsa"

Sa première pensée appelle son amour
Elsa L'aurore a brui du ressac des marées
Elsa Je tombe Où suis-je Et comme un galet lourd
L'homme roule après l'eau sur les sables du jour
Donc une fois de plus l'amour s'est retirée
Abandonnant ici ce corps à réméré

Ce coeur qui me meurtrit est-ce encore moi-même
Quel archet sur ma tempe accorde un violon
Elsa Tout reprend souffle à dire que je t'aime
Chaque aube qui se lève est un nouveau baptême
Et te remet vivante à ma lèvre de plomb
Elsa Tout reprend souffle à murmurer ton nom

Le monde auprès de toi recommence une enfance
Déchirant les lambeaux d'un songe mal éteint
Et je sors du sommeil et je sors de l'absence
Sans avoir jamais su trouver accoutumance
A rouvrir près de toi mes yeux tous les matins
A revenir vers toi de mes déserts lointains

Tout ce qui fut sera pour peu qu'on s'en souvienne
En dormant mon passé que ne l'ai-je perdu
Mais voilà je gardais une main dans les miennes
Il suffit d'une main que l'univers vous tienne
Toi que j'ai dans mes bras dis où m'entraînes-tu
Douleur et douceur d'être ensemble confondues

Un jour de plus un jour Que la barge appareille
Sur la berge s'enfuit novembre exfolié
Ce que disent les gens me revient aux oreilles
Il va falloir subir à nouveau mes pareils
Depuis le soir d'hier les avais-je oubliés
Mais dans les joncs déjà j'entends les jars crier

Je ne sais vraiment pas ce que peut bien poursuivre
Cet animal en moi comme un seau dans un puits
Qu'est ce que j'ai vraiment à m'obstiner de vivre
Quand je n'ai plus sur moi que la couleur du givre
L'âge dans mon visage et dans mon sang la nuit
N'achèvera-t-on pas l'écorché que je suis

J'écoute au fond de moi l'écho de mes artères
Je connais cette horreur soudain quand il m'emplit
Faut-il se borner à subir et se taire
Faut-il donc sans y croire accomplir les mystères
Comme le sanglier blessé les accomplit
Si le valet des chiens ne sonne l'hallali

Quoi je dormais toujours ou qu'est ce paysage
Quel songe m'habitait dans l'intime des draps
Où tu vas je te suis La vie est ton sillage
Je te tiens contre moi Tout le reste est mirage
J'étais fou tout à l'heure Allons où tu voudras
Non je n'ai jamais mal quand je t'ai dans mes bras

Je vis pour ce soleil secret cette lumière
Depuis le premier jour à jouer sur ta joue
Cette lèvre rendue à sa pâleur première
On peut me déchirer de toutes les manières
M'écarteler briser percer de mille trous
Souffrir en vaut la peine et j'accepte ma roue

Ah ne me parlez pas de roses de l'automne
C'est toujours le front pur de l'enfant que je l'aimais
Sa paupière a gardé le teint des anémones
Je vis pour ce printemps furtif que tu me donnes
Quand contre mon épaule indolemment tu mets
Ta tête et les parfums adorables de mai

L'amour que j'ai de toi garde son droit d'aînesse
Sur toute autre raison par quoi vivre est basé
C'est par toi que mes jours des ténèbres renaissent
C'est par toi que je vis Elsa de ma jeunesse
Ô saisons de mon coeur ô lueurs épousées
Elsa ma soif et ma rosée
Comme un battoir laissé dans le bleu des lessives
Un chant dans la poitrine à jamais enfoui
L'ombre oblique d'un arbre abattu sur la rive
Que serais-je sans toi qu'un homme à la dérive
Au fil de l'étang mort une étoupe rouie
Ou l'épave à vau-l'eau d'un temps évanoui

J'étais celui qui sait seulement être contre
Celui qui sur le noir parie à tout moment
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
Que serai-je sans toi que ce balbutiement

Un bonhomme hagard qui ferme sa fenêtre
Le vieux cabot parlant des anciennes tournées
L'escamoteur qu'on fait à son tour disparaître
Je vois parfois celui que je n'eus manqué d'être
Si tu n'étais venue changer ma destinée
Et n'avais relevé le cheval couronné

Je te dois tout je ne suis rien que ta poussière
Chaque mot de mon chant c'est de toi qu'il venait
Quand ton pied s'y posa je n'étais qu'une pierre
Ma gloire et ma grandeur seront d'être ton lierre
Le fidèle miroir où tu te reconnais
Je ne suis que ton ombre et ta menue monnaie

J'ai tout appris de toi sur les choses humaines
Et j'ai vu désormais le monde à ta façon
J'ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines
Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines
Comme au passant qui chante on reprend sa chanson
J'ai tout appris de toi jusqu'au sens du frisson

J'ai tout appris de toi pour ce qui me concerne
Qu'il fait jour à midi qu'un ciel peut être bleu
Que le bonheur n'est pas un quinquet de taverne
Tu m'as pris par la main dans cet enfer moderne
Où l'homme ne sait plus ce que c'est d'être deux
Tu m'as pris par la main comme un amant heureux
Il vient de m'échapper un aveu redoutable
Quel verset appelait ce répons imprudent
Comme un nageur la mer Comme un pied nu le sable
Comme un front de dormeur la nappe sur la table
L'alouette un miroir La porte l'ouragan
La forme de ta main la caresse du gant

Le ciel va-t-il vraiment me le tenir à crime
Je l'ai dit j'ai vendu mon ombre et mon secret
Ce que ressent mon coeur sur la sagesse prime
Je l'ai dit sans savoir emporté par la rime
Je l'ai dit sans calcul je l'ai dit d'un seul trait
De s'être dit heureux qui donc ne blêmirait

Le bonheur c'est un mot terriblement amer
Quel monstre emprunte ici le masque d'une idée
Sa coiffure de sphinx et ses bras de chimère
Debout dans les tombeaux des couples qui s'aimèrent
Le bonheur comme l'or est un mot clabaudé
Il roule sur la dalle avec un bruit de dés

Qui parle du bonheur a souvent les yeux tristes
N'est-ce pas un sanglot de la déconvenue
Une corde brisée aux doigts du guitariste
Et pourtant je vous dis que le bonheur existe
Ailleurs que dans le rêve ailleurs que dans les nues
Terre terre voici ses rades inconnues

Croyez-moi ne me croyez pas quand j'en témoigne
Ce que je sais du malheur m'en donne le droit
Si quand on marche vers le soleil il s'éloigne
Si la nuque de l'homme est faite pour la poigne
Du bourreau si ses bras sont promis à la croix
Le bonheur existe et j'y crois

Tu m'as conduit dans la garrigue à l'heure où l'air n'est que cigales
Les troupeaux anciens n'ont laissé qu'un peu d'une terre frugale
Et ce parfum de la lavande on dirait foulé de leurs pieds
Qui croît des pores de la pierre à tort et travers jointoyée
C'est la terre d'un songe ancien comme il tombe des sarcophages
Pleine d'insectes enkystés d'élytres et de coquillages
Elle a le carmin du kermès qui pousse sur les chênes-nains
Écrase-le pour voir le sang végétal te teindre les mains
Et ce serpent ruiné sans rien qui tienne ensemble ses écailles
Ce long cheminement qui est ce qui reste d'une muraille
Comme il s'agissait toujours de marquer les propriétés
Mais regarde-moi ces zigzags c'est drôlement mal arpenté
C'est un fichu cache-nez que les siècles ont mangé aux mites
On a depuis belle lurette oublié ce qu'il délimite
Et que ce fut le grand terrain domanial de l'épidémie
Transhumance interdite ici comme aux gens de guerre aux brebis
A cause des exhalaisons ordre à tous de porter le masque
Même aux morts qui jonchent le sol entre Carpentras et Venasque
Voilà le nom lâché Venasque ô ville où je fus avec toi
Où l'église juché à des pierres tombales sur le toit
Tu aimes ces contrées de peste entre la Durance et le Rhône
Ce pays sans eau ces hauteurs où la Peur avait fait son trône
Tu l'ouvres devant moi cet incunable plein de tragédies
De meurtres et de poisons noirs Moi j'écoute ce que tu dis
Et j'entends ce remue-ménage et se levant des ossuaires
Les fantômes qui font un bruit caché d'armes sous leur suaire

Tu m'as conduit dans cet autre pays de la confusion
Dans ce pays de banqueroute où rien n'est que dérision
Décor plâtras La bise entre comme elle veut dans les demeures
Toutes pareilles plus ou moins à des tombeaux de parfumeurs
Des cabochons en veux-tu en voilà pour faire plus coquet
Regarde-moi les plantes vertes qu'on a mises sur les quais
Il y a ce quartier perdu quand on suit le chemin de fer
Où les immeubles et les gens ont fait de mauvaises affaires
Ce palais délabré qu'emplit une marmaille débraillée
Le linge y pend partout sur les balcons les escaliers
Mais le pis peut-être que ce sont les pensions de famille
Où ça sent à la fois la poudre de riz et la camomille
Chambre avec kitchenette et le robinet d'eau froide larmoie
La belle époque y rend sa dernière bague à la fin du mois
Pitié pour qui sur la figure a toujours le trente et quarante
Le carnaval est là pour lui prouver que la vie est marrante
La femme de ménage appelle ici les Italiens Piémontais
A toi bien sûr elle racontera le drame qu'elle tait
Le père de son fils un beau matin parti pour le Maroc
Cette femme en blanc que tu fais surgir c'est l'Ange du baroque
Énigmes Mots croisés de la Côte et toi seule en as la clef
Soudain la mer a balayé la Promenade des Anglais
Nous sommes partis d'ici par le dernier petit train de Digne
Et des motards à plumes de coq couraient le long de la ligne

Tout cela me vient pêle-mêle et ne tient pas compte du temps
J'ai traversé toute la France et toi tout au bout tu m'attends
Je revois le papier mural de notre chambre à Carcassonne
Et le désespoir qu'on ne pouvait partager avec personne
Une chambre succède à l'autre nuit une nuit suit une autre nuit
On dirait que le bras de l'ange exterminateur nous poursuit
Un bordel pour le front de l'Est Toute la smala dans la cour
Et le fiancé qui voulait s'enfuir de la prison de Tours
Nous débarrasser de son lit le diable m'emporte comment
Il n'y a pas de différence entre la vie et tes romans
Te voilà dans la neige avec les faux papiers Tu marches vite
Vers la maison dans la montagne par toi quelque part décrite
C'est la Noël Nous sommes abominablement malheureux
Quand la porte s'ouvre on jette du genévrier plein le feu
Qu'une grande flamme en ton honneur alors nous saute à la face
Mais nous ne resterons pas ici Que voulez-vous qu'on y fasse
Nous voilà boulevard Morland dans ce petit rez-de-chaussée
Je ne distingue plus ce que tu dis de ce qui s'est passé
Schéhérazade au village où le Commandant Azur se cache
Tu es assise au coeur du monde et tu écris contre la hache
Encore un conte pour prolonger l'univers jusqu'à demain
Un soldat vert feuilletait ton manuscrit debout dans le train
Ou cette nuit au-dessus d'une boucherie à Saint-Rambert
La mort est pour un autre jour la croix pour un autre calvaire
Quand il n'en reste que la cendre où est la mémoire du feu
Notre temps pour le bien comprendre il faut le chercher dans tes yeux
Avez-vous lu La Femme au diamant J'adore cette histoire
L'éclipse pour la déchiffrer on a besoin de verres noirs
Schéhérazade ô récitante et ce n'est plus toi qui supplies
Au mille et unième matin quand le dernier astre a pâli
Alors tu tournes ce regard d'aube sur les choses futures
Et derrière toi dans la brume on aperçoit tes créatures
Jenny Thérèse Elizabeth ce peuple mouvant que voici
Dans le faux jour de la voyance et le néon des pharmacies
Le troupeaux hideux des marchands de biens et des soldeurs de stocks
Et cet espèce de beau garçon qui se perd dans son époque
Avez-vous remarqué que c'est la même chose qu'elle dit
Dans chaque livre et dans chacun que c'est la même tragédie
Pour le faire comprendre mieux elle-même a pris ce visage
Atroce ô mon amour c'est exiger de moi trop grand courage
Ce spectacle à quoi bon D'où sort cette sauvage cruauté
Cette apocalypse Écartez de moi ce miroir écartez
De moi ce miroir Enlevez au moins ce mot qui fait si mal
Pourquoi tes doigts dans la blessure et cette souffrance animale
Qui grandit Les mots tombent de mon coeur oh que ce soit la fin
Jusqu'ici je ne savais pas où la douleur humaine atteint
Mais d'où te vient cette science à toi qui l'écris et l'enseignes
Toi par qui je comprends tout ce qui palpite et tout ce qui saigne
Tu es l'air qui porte vers moi la vie et ses pollens légers
Vint mil neuf cent cinquante-six comme un poignard sur mes paupières
Tout ce que je vois est ma croix tout ce que j'aime est en danger
Et sans toi je n'aurais été que l'homme qui reçoit les pierres
Mais tu m'as chanté la chanson du Rendez-vous des étrangers


Tant que j'aurai le pouvoir de frémir
Et sentirai le souffle de la vie
Jusqu'en sa menace
Tant que le mal m'astreindra de gémir
Tant que j'aurai mon coeur et ma folie
Ma vieille carcasse

Tant que j'aurai le froid de la sueur
Tant que ma main l'essuiera sur mon front
Comme du salpêtre
Tant que mes yeux suivront une lueur
Tant que mes pieds meurtris me porteront
Jusqu'à la fenêtre

Quand ma nuit serait un long cauchemar
L'angoisse du jour sans rémission
Même une seconde
Avec la douleur pour seul étendard
Sans rien espérer les désertions
Ni la fin du monde

Quand je ne pourrais ni veiller ni dormir
Ni battre les murs quand je ne pourrais
Plus être moi-même
Penser ni rêver ni me souvenir
Ni départager la peur du regret
Les mots du blasphème

Ni battre les murs ni rompre ma tête
Ni briser mes bras ni crever les cieux
Que cela finisse
Que l'homme triomphe enfin de la bête
Que l'âme à jamais survive à ses yeux
Et le cri jaillisse

Je resterai le sujet du bonheur
Se consumer pour la flamme au brasier
C'est l'apothéose
Je resterai fidèle à mon seigneur
La rose naît du mal qu'à le rosier
Mais elle est la rose

Déchirez ma chair partagez mon corps
Qu'y verrez-vous sinon le paradis
Elsa ma lumière
Vous l'y trouverez comme un chant d'aurore
Comme un jeune monde encore au lundi
Sa douceur première

Fouillez fouillez bien le fond des blessures
Disséquez les nerfs et craquez les os
Comme des noix tendres
Une chose seule une chose est sûre
Comme l'eau profonde au pied des roseaux
Le feu sous la cendre

Vous y trouverez le bonheur du jour
Le parfum nouveau des premiers lilas
La source et la rive
Vous y trouverez Elsa mon amour
Vous y trouverez son air et son pas
Elsa mon eau vive

Vous retrouverez dans mon sang ses pleurs
Vous retrouverez dans mon chant sa voix
Ses yeux dans mes veines
Et tout l'avenir de l'homme et des fleurs
Toute la tendresse et toute la joie
Et toutes les peines

Tout ce qui confond d'un même soupir
Plaisir et douleur aux doigts des amants
Comme dans leur bouche
Et qui fait pareil au tourment le pire
Cette chose en eux cet étonnement
Quand l'autre vous touche

Égrenez le fruit la grenade mûre
Égrenez ce coeur à la fin calmé
De toutes ses plaintes
Il n'en restera qu'un nom sur le mur
Et sous le portrait de la bien-aimée
Mes paroles peintes

dimanche, octobre 09, 2011

spleen au travail partie 2


Que faire quand quelque chose ne nous convient pas?
En changer et très vite.
Étrange d'écrire ceci sur mon lieu de travail.
Fatigue généralisée
Bruits insupportables
Jusqu'au long bip, le temps d'avoir en ligne une nouvelle personne,
Identique au long bip d'un électrocardiogramme devenu plat.
Comme si ma vie dépendait de cet inconnu que j'aurais au bout du fil, quelque part en France.
Une fois le téléphone décroché, loin du ouf de soulagement, de la bouffée d'air indispensable, je débite un texte affiché sur mon écran, qu'à force je connais par coeur.
Pour prendre quelques libertés avec le mot à mot, je réduis, j'adapte à ma façon...
Façon illusoire de me dire que je ne suis pas devenue esclave de cette machine
et de cette entreprise.
Alors, je brave aussi quelques interdits: envoi de sms, écriture...Tout ce qui peut m'éloigner de cette autre forme d'enfer moderne.
Lueur d'espoir, ce stage au mois de mars, un parcours pas si pourri que ça puisque ce sont eux qui me l'ont proposé à défaut de pouvoir m'embaucher.
Bientôt d'autres horizons, bientôt aussi un lieu à m'occuper... Enfin, j'espère, j'espère.

spleen au travail partie 1


Barreaux invisibles
depuis longtemps, t'as dit adieux à tes rêves.
depuis longtemps, on te dit c'est marche ou crève.
Plus rien ne te retient pourtant.
Plus de famille, quelques collègues,
Pas le temps d'avoir des amis.
Même les heures passées devant ton écran ne t'apporte plus rien.
Barreaux invisibles,
enchaîné à ton bureau, employé émérite.
Tu connais les règles et les produits marketing par coeur.
Quant à ton coeur fatigué, surtension, ça fait longtemps,
qu'il ne sait plus fonctionner.
Incapable d'aimer, seul devant ton pc.
Tous les jours, on t’aboie dessus et même à coup de mails.
Tu t'enfonces plus. Tu t'adaptes plus, ou plutôt tu adaptes ton mode de pensée
à celui de tes chefs.
Petit chef, tu donnes des ordres, tu demandes des chiffres,
n'oublies pas que tu n'es qu'un sous-fifre.
Un souffre-douleur comme tes subordonnés que tu finis par harceler.
Tout à ton travail de jour comme de nuit, ça fait longtemps que tu
ne prends plus de caféine ou de boissons énergisantes pour te garder éveiller.
Subtil cocktail pour tout donner jusqu'à ta santé.
Et quand enfin tu pourrais dormir... impossible, insomniaque, rivé sur la
télé tu t'abrutis.
Était-ce là la vie dont tu rêvais? te voilà un jour, dépressif, avec tout ce que tu ingurgites, tu finis par perdre ton satané emploi.
Prise de conscience, t'as rien construit, même pas toi.
Depuis longtemps vendu au dieu des fiances et de l'argent, tu n'es plus rien.
Tu es vide, plus d'âme, plus d'esprit.
Est-ce que tout cela en valait la peine?

vendredi, septembre 30, 2011

à vs de voir... nouveau concept!

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dimanche, septembre 11, 2011

cinéma/politique cinéma et politique

Je me permets de reprendre ici quelques citations retenues dans deux livres:

"cinéma/politique série 1" trois tables rondes: 1968, 1970, 2004 coordonnée par Nicole Brenez et Edouard Arnoldy, ed Labor, coll images 2005 Bruxelles
et
"Cinéma et politique : 1956. 1970 Les années pop" Jean Louis Comolli, Gérard Leblanc, Jean Narboni Bibliothèque centre Pompidou 2001

Je crois que toutes peuvent s'appliquer à la vie quotidienne, certaines sont comme des prophéties du monde dans lequel nous vivons. Alors bonne lecture, n'hésitez pas à vous les approprier dans la vie de tous les jours, d'y repenser, de les partager.

Nicole Brenez: "Deux mille quatre, pour autant qu'on puisse le ressaisir dés aujourd'hui, correspond à l'installation fallacieuse d'un conflit entre civilisations (orientale et occidentale, dans des versions caricaturales jusqu'à l'absurde) encouragée notamment par la création d'un nouveau marché (l'intégrisme religieux) par des marchands d'armes privés de leurs débouchés habituels en raison de la disparition du communisme de type soviétique."
Nicole Brenez: "Leur contexte, c'est l'ère de la désinformation totale, du mensonge d'État généralisé et cynique, de la confiscation des instruments démocratiques, du doute radical minant le principe même de la délégation de pouvoir que suppose le fonctionnement du suffrage universel" (Elle fait référence ici aux participants de la dernière table ronde en 2004)

Glauber Rocha: "Dans toute l'Amérique latine.... En Afrique, le cinéma reste sous-développé car le continent se trouve sous l'emprise de l'industrie française et de son réseau de distribution. Dans le reste de l'Afrique, les cinémas anglais et américain dominent. C'est je pense, le principe même d'industrie qui est dangereux. Le cinéma est la seule activité artistique qui dépende d'un système de production et de consommation. Parce qu'il coûte de l'argent-vous n'avez pas besoin d'un producteur pour écrire un poème ou un roman, même si on a besoin d'un éditeur pour l'imprimer, alors qu'un scénario, puisque impubliable, n'a aucune valeur marchande s'il n'est pas tourné. La difficulté aujourd'hui pour un cinéma consiste à surmonter cette contradiction. Je ne pense pas que ce problème appartienne au seul monde capitaliste, car c'est la même chose dans le monde socialiste."
Pierre Clémenti: "Pour les gens, le cinéma, c'est ce qu'ils ne voient pas à la télévision. Si la télévision leur donnait ce que leur offrait jusqu'alors le cinéma, tôt ou tard, ils ne sortiraient plus de leurs maisons. Ils iraient directement à l'usine. La télévision serait le nouveau Dieu-machine qui assouvit et réalise tous les désirs. Le cinéma disparaîtra. C'est une possibilité; je suis sûr que si la télévision était dirigée par des gens très intelligents, elle pourrait devenir très puissante, colossale. Quand la télévision découvrira l'étendue de tous ses pouvoirs, elle enfermera tout le monde dans un ghetto-les travailleurs. Des nations entières seront aliénés; les gens ne sortiront plus du tout, sauf pour se rendre à l'usine; ils seront complètement aliénés par une machine qui se substituera à la religion, aux histoires, aux belles histoires... Le seul art capable de combattre ce processus aujourd'hui est le cinéma. Du moins, le cinéma en tant qu'extension logique de ce qu'il est aujourd'hui."
Glauber Rocha: "Le problème est le suivant: même au Brésil, peu importe l'éditeur qui va prendre un risque en publiant un jeune auteur capable d 'écrire un roman meilleur et plus moderne qu'Ulysse. Même Joyce, dans cette société, est devenu un produit avec une valeur marchande. Le problème réside dans la structure de la société capitaliste, et à mon regret, dans la société socialiste aussi. C'est la politique générale de consommation. Il s'agit de crétiniser le consommateur à plusieurs niveaux. Quand le public a atteint le niveau où il se met à consommer des productions intellectuelles, à ce niveau-là, il a besoin de recevoir un stimulus critique, plus dialectique, plus révolutionnaire, pour ouvrir les portes à la connaissance de l'expérience humaine. Mais juste à ce point, le système se met à fonctionner à plein et s'impose toujours, parce que cela devient une question de structure."
Glauber Rocha: " Mais la question n'est pas d'aller dans les usines, parce que si vous réalisez vos films pour ce public là, vous devez comprendre qu'il s'agit des mêmes gens qui vont au cinéma. Des gens conditionnés. Une révolution culturelle de bien plus grande ampleur doit être provoquée par une révolution politique. Dans le cadre de la société technologique actuelle, le plus grand obstacle auquel nous devons faire face aujourd'hui est la société de consommation. Le même problème se pose en Russie et à New York. Cette discussion, par exemple, est parfaitement inutile car nous sommes tout au plus une poignée d'individus à l'attaque d'un système qui n'en a rien à foutre."
(Nous sommes ici en 1070, la table ronde avait lieu en présence de Glauber Rocha, Jean-Marie Straub, Simon Hartog, Miklos Jancso, Pierre Clémenti)

Rashid Masharawi: "La vidéo a donné aux Palestiniens la possibilité de faire notre propre image, de raconter nous-mêmes notre histoire. Pour atteindre notre objectif politique, il faut pouvoir changer notre rapport au monde extérieur. Le problème n'est pas seulement entre nous et Israël. Notre problème est l'opinion mondiale, et pour la changer nous avons besoin de la vidéo. Jusqu'à présent, qu'est-ce que les politiciens ont fait pour la Palestine? Les politiciens, la révolution, n'ont rien résolu. La vidéo a donné une image à notre nation, elle lui a donné une couleur, un accent, une attitude, une culture."
Raymonde Carasco: "Je filme le peuple Tarahumara et ses rites depuis vingt ans, et dans la patience du travail, certains Tarahumaras m'ont donné leur amitié. Or un don exige un contre-don, c'est à dire un don plus grand. Pour un cinéaste, celui qui fait contre-don est le public, les gens. Il y a toujours des gens, partout, « il y a toujours des gens », c'est presque un titre de chanson. On rencontre l'autre dans le désir de l'autre et on s'aperçoit à la fin qu'il est le même, « lui » et « moi » ça n'existe pas, il n'y a pas de singularités, seulement des flux d'intensités, (s'adressant à Philippe Grandrieux), intensités, plus qu'énergie, parce que l'énergie est seulement physique. Quand vous filmez, celui que vous filmez vous donne d'abord l'immensité de la différence, et vous, vous avez vous à lui apporter quelque chose, c'est une nécessité, c'est un échange, et pour moi c'est ça la politique. C'est la cité, c'est d'appartenir à une communauté, une communauté qui n'est pas un petit clan. La générosité de la création, de la vie, nous dépassent, qui appartiennent à la communauté elle-même."
Mounir Fatmi: "Oui, pour moi être expérimental c'est être libre. Mes films passent peut-être une fois par an dans un festival vidéo, et là je reviens à la solitude. Je me trouve dans une solitude extrême, parce qu'à l'origine je voulais faire de la vidéo pour que mon travail soit accessible et je m'aperçois à l'usage qu'il n'est vu que par une minorité, il reste en fait élitiste. Mes films passent dans des musées, des biennales, des centres d'Art... On n'a rien réglé, le travail devient juste de dire « je continue », j'ai envie de faire un film chaque jour. On nous demande de créer des structures de distribution et de diffusion alternatives, mais moi je ne peux pas en même temps créer des films et des structures, je ne suis pas doué pour ça."
(Il s'agit ici de la dernière table ronde, à laquelle participèrent: Lou Castel, Lionel Soukaz, Philippe Grandrieux, Marcel Hanoun, Wael Noureddine, Mounir Fatmi, Raymonde Carasco, FJ Ossang, Rashid Masharawi.)


Gérard Leblanc: "C'est en se préoccupant de la vie réelle du spectateur que le cinéma fait retour sur sa propre réalité et questionne, de façon renouvelée, sa fonction sociale comme sa fonction esthétique."
Gérard Leblanc: "Tant que les révolutionnaires n'auront pas répondu à la question de savoir pourquoi, sachant qu'ils pourraient se comporter autrement, tant d'hommes et de femmes agissent contre leurs intérêts-individuels et de classes-, la révolution n'aura pas lieu ou sera de bien courte durée."
Gérard Leblanc: "Si l'on pouvait à l'époque affirmer (sans sourire) que « tout film est politique », c'était avant tout parce qu'il nous semblait indiscutable que tout film inscrit un « point de vue », un « d'où » ça filme, parle, écoute, voit; qu'une « absence » de point de vue est encore un point de vue; que toute position de caméra, toute disposition de corps, toute opération de montage, y compris les plus nulles, n'est rien que geste d'écriture; qu'un « degré zéro du cinéma » implique une décision d'inscription, une prise d'écriture, une élaboration signifiante, voire un parti esthétique, dés lors que les paramètres techniques de la machine au même titre que les déterminants idéologiques des hommes qui tournent autour de cette machine ne peuvent pas ne pas signifier, ne pas renvoyer à un tableau plus complexe, celui des enjeux de sens et des rapports de force en œuvre dans les sociétés-dans le monde, ce monde qui les films militants, justement, ne veulent pas congédier. Et je me demande aujourd'hui si la leçon du slogan « tout film est politique » n'était pas (insidieusement) que, filmée, la politique ne pouvait que se plier au jeu du cinéma."
citation de Jean Rouch: " (…) Un commentaire doit être fait « à l'image ». Bien des gens ne comprennent pas cela. Je pense que ceux qui font des films veulent avoir un ton objectif. Ce sont des savants qui parlent. Le savant n'a pas de cœur. J'ai découvert que seuls les commentaires non écrits qui étaient faits à l'image étaient dans le rythme de l'action, dans le rythme de l'image. Si l'on écrit le commentaire, c'est foutu. "
citation d'Arthur Lamothe: "Un peuple qui ne voit sur les écrans des salles de cinéma que les rêves des autres sera un peuple aliéné, de même qu'un peuple qui n'y verrait que ses propres rêves."
citation de Robert Bresson:  "Ce qui m'a poussé à faire cette œuvre, c'est le gâchis qu'on a fait de tout. C'est cette civilisation de masse où bientôt l'individu n'existera plus. Cette agitation folle. Cette immense entreprise de démolition où nous périrons par où nous avons cru vivre. C'est aussi la stupéfiante indifférence des gens sauf de certains jeunes plus lucides."

jeudi, septembre 08, 2011

Parait-il


Parait-il qu'elle ne sait pas tenir sa langue
parait-il qu'elle n'aime pas attendre
Parait-il qu'elle ne saurait pas s'y prendre

Parait-il qu'elle a longtemps pleuré, mais qu'aujourd'hui, elle ne fait que rire.
Parait-il que maintenant, elle peut se taire lorsqu'il le faut.
Parait-il qu'autrefois, elle fut l'esclave d'un homme, totalement sous son emprise et battue.
Parait-il qu'elle a eu longtemps peur du noir, après lui, comme une enfant un peu perdue.
Parait-il qu'elle a maintenant rencontré un homme, un vrai, qui la respecte et l'aime véritablement; comme elle l'aime véritablement.

Parait-il qu'elle a vécu quelques temps dans des bunkers et des vaisseaux, le temps de se reconstruire.
Parait-il qu'elle est entourée de gens qui l'apprécient pour ce qu'elle est, ce qu'elle fait et ce qu'elle dit.
Parait-il qu'elle vit de son art et qu'elle ne perdra jamais plus son inspiration.
Parait-il qu'elle se demande parfois, comment elle avait pu accepter tout ça.

Parait-il...Mais il parait que tout reste à faire, qu'elle n'a pas encore trouvé son chemin...Encore un peu de temps pour que ces lignes positives et salvatrices se réalisent. Je l'espère pour elle en tout cas.

mardi, août 30, 2011

Combien?


Malraux disait: "une vie ne vaut rien mais rien ne vaut une vie". Or depuis longtemps déjà, il semblerait que tout a un prix, y compris la vie.... Alors, actionnaires, négociateurs, traders...et j'en passe
Combien pour les enfants de la corne d'Afrique?
Combien pour les SDF qui crèvent à côté de chez vous?
Combien pour les civils libyens ou syriens?
Combien pour les détenus politiques?
Combien pour les victimes de l'homophobie ou du racisme ordinaire?
Combien pour les victimes de vos lois, qui les enferment dans vos centres de rétention?
Combien pour les toxicos que certains labos-au lieu de soignés- rendent plus accros encore à des substances bien plus nocives, mais puisque ce sont des labos pharmaceutiques... C'est pour leur bien, n'est ce pas?
Combien pour chaque hectare de forêt dévasté, envolé en fumée qui tôt ou tard nous condamnera?
Combien pour que vos engrais, pesticides cessent de polluer nos sols, notre eau, notre corps?
Combien? Combien....
La liste est tellement longue... Tous ces combien additionnés ne sont que les témoignages de votre avidité et votre folie.

vendredi, août 19, 2011

White Terror (Dokumentation) "1/6"

White terror - videos.arte.tv

White terror - videos.arte.tv



Je suis tombée dessus par hasard, comme toujours, je ne sais pas ce qui passe à la télé.
Je l'ai pris en cours, les yeux ronds, effarés par tant de violence, effrayé aussi que le monstre du fascisme soit toujours aussi bien portant.
Je me suis vue transporter en Russie (dernière partie, je crois du documentaire), plongée en plein groupuscule néo-nazi.
Je me suis dit que l'équipe de tournage et le réalisateur avaient eu beaucoup de courage, d'aller les "affronter", en face à face, les suivre dans leur antre, essayer de comprendre comment ces groupes fonctionne, voir l'inertie de la police, parler des liens avec certains membres du gouvernement.
Faire un parallèle avec la situation en France, se dire aussi qu'ici aussi, le gouvernement se sert de ces peurs de l'étranger, de l'immigration, pour garder à tout prix le pouvoir. Au moins, ça ne pose pas les véritables problèmes, pour de véritables solutions.
Étonnant aussi comment, l'économie, les grandes entreprises peuvent se servir de ces groupes.
Voir que malgré les efforts du FN pour lisser leur image et se faire accepter du plus grand nombre, des déçus de tout bord, comme un parti légitime, sans véhiculer de choses nauséabondes; un certain émissaire envoyer en Russie, encourageait ces groupes violents... à encore plus de violence...
Bien sûr, je ne suis jamais fait d'illusion sur ces personnes, je me méfie d'elles comme de la peste... Mais penser, que si un grand nombre, voyait ce passage précisément, alors peut-être que certains se détourneraient de leurs belles promesses.
J'ai malgré tout espoir que tant que certaines personnes resteront vigilantes et dénonceront -parfois au péril de leur vie- leurs agissements, leur existence, alors nous serons prêts à les combattre.

Je vous le conseille vivement!

dimanche, juillet 10, 2011

puisque d'autres possibles existent... III/ un monde sans argent


Cela fait longtemps que je pense qu'une des plaies de ce monde est l'argent.
Cet argent virtuel, créé de toute pièce par les banques, nous rendent esclaves. Comment? Je vous l'explique. Nous sommes dépendants de petits bouts de papier, pièces de monnaie, chèques et virements pour accéder à certains de nos droits les plus élémentaires: se nourrir, se vêtir, se loger, accéder à des soins médicaux. cela se complique lorsque l'on veut se déplacer, accéder à la culture et à l'éducation. Autres droits qui nous permettent entre autre d'agir en tant qu'êtres humains pensants, vous en conviendrez.
Pour obtenir cet argent, il nous faut travailler, dépendre de la générosité d'un Etat, qui tôt ou tard nous demandera un retour de cette aide donnée, quand bien-même nous cotisons pour ces aides. Et cela est encore, plus vrai lorsqu'en France, on dénonce les chômeurs, bénéficiaires du RSA, que l'on coupe drastiquement les aides données aux organisations telles que les restos du coeur ou le samu social. Nous sommes donc rendus encore plus asservis à un système dégueulasse et totalement injuste.
Pour obtenir cet argent, certains volent, soit par nécessité, soit par facilité. Ceci dit, ce n'est pas moi qui leur jetterai la première pierre. Je regrette simplement qu'ils n'aient pas tous l'esprit d'un Robin des Bois. Face à eux et à nous, nos dirigeants, banques, bourses, actionnaires... sont sans doute les plus grands voleurs.
Pour obtenir cet argent, certains se font dealer de drogue, se prostituent... Comment se préserver et se respecter, quand un système nous conduit à de tels agissements..? Et je ne parle pas de tous ceux qui sombrent dans la dépression, pilules d'oubli voire suicide.
Le fait que l'on nous encourage à avoir toujours plus d'argent va de pair avec le système de consommation; car en effet, si l'on nous encourage à avoir plus d'argent c'est avant tout pour le dépenser plus: devenir propriétaire à tout prix, partir en vacances à tout prix (même en ayant recours à un crédit à la consommation), acheter des marques, quand bien même la plupart des produits proviennent des mêmes usines...
Bref, avoir de l'argent ou essayer d'en avoir c'est donc, être en esclavage... Pour les plus démunis d'entre nous, pour les classes dites moyennes, cela peut sembler clair.
Avec le risque, toujours de plus en plus grand de perdre son emploi, le risque l'est d'autant plus de ne plus pouvoir rembourser prêts et crédits... cercle vicieux à tous les niveaux, asservissement total.
Quand aux riches... puisqu'ils cherchent eux aussi à en avoir toujours plus, pour dépenser plus, parfois pour mieux nous écraser, eux aussi en sont esclaves... Pire, ils ont le choix de l'être.
A cela, s’ajoute l'absurdité du système de l'argent dette, le FMI et d'autres instances qui au lieu d'aider les peuples, n'ajoutent qu'à leur asservissement.
Ainsi, nous avons plusieurs épées de Damoclès au-dessus de nos têtes.
Comment continuer à défendre un système si violent?

Un monde sans argent cela voudrait dire moins de violence: de violence faite à soi-même,entre nous et contre nous. J'en oublie peut-être.
Un monde sans argent, c'est joué les cartes de la solidarité, de la fraternité. C'est se tourner vers des communautés réelles cette fois basées sur le partage de la nourriture, des toits, etc. Mettre à disposition à chacun des endroits pour dormir, manger etc, en demandant en retour par exemple de l'aide pour la préparation des repas, la réparation et l'entretien de tous ces lieux, qui se voudraient essentiellement commun. Les exemples existent déjà: agriculteurs qui assurent le gîte contre travail, la révolution espagnole (même si l'argent n'avait pas totalement disparu)... Ce sont les deux exemples qui me reviennent maintenant, mais il y en a d'autres.
Alors oui, ce système c'est renoncer à ce "droit à la propriété", selon moi c'est un faux droit, une invention pour promoteurs immobiliers dans une société qui est devenue de plus en plus individualiste.
Tiens, je repense maintenant, à ses étudiants qui peuvent avoir une chambre chez des personnes âgées, en échange de quelques services et surtout de temps, de lien tissé entre deux générations.
Cela nous empêcherait aussi de ne plus jeter des kg et des kg de nourritures encore consommables, quand d'autres meurent de faim, au coin de notre rue ou ailleurs.
Cela signifierait une vraie vie de quartier, en communauté, réapprendre des valeurs essentielles, passées aux oubliettes de notre mémoire.
Cela nous permettrait de nous rendre compte de nos véritables besoins, de partager les savoirs à tous et pour tous de la même façon.
Cela permettrait aussi à certains d'éviter le chemin de la criminalité, service que l'on rendrait aux prisons surpeuplées, ainsi qu'à la justice qui ne pourrait plus être à deux vitesses. Si tu peux payer ta défense, tu ne risques pas grand chose, si tu es en plus un homme politique, tu ne risques rien, si tu es un despote, tu as la justice avec toi!
Un monde sans argent basé donc sur communautés, partage, échanges de services et de biens, ferait du bien à notre liberté même.
Si nous n'avons plus à nous préoccuper de factures, crédits, achats de produits alimentaires, un toit pour dormir, alors nous avons plus de temps pour acquérir du savoir... Ce qui nous permettrait de penser à la continuité d'une véritable évolution du genre humain et de notre planète, incluant donc tout être vivant qui y voit le jour.
Ces préoccupations envolées, nous pourrions aussi faire ce qu'il nous plaît tout simplement... Pour moi l'écriture, pour d'autres la parole, la peinture, le théâtre, le cinéma, etc
Ou simplement voyager, commencer par une vraie année sabbatique, quel progrès!
Sortir d'une société basée sur le dieu argent, c'est se libérer de nos chaînes et enfin vivre!
Nous pouvons le faire, j'en reste persuadée! Ce sera long, car notre système de pensée à lui aussi été pervertie par ce dieu, par leurs mensonges...
Attaquons nous aux banques, aux bourses, aux hyper et supermarchés, aux actionnaires, aux compagnies pétrolières, aux industries agroalimentaires, automobiles, pharmaceutiques.
Les uns pour qu'ils disparaissent purement et simplement. Les autres en les nationalisant, en les dirigeant nous-mêmes,de façon collective, en appelant leurs anciens salariés à produire juste ce qui est nécessaire et pour une durée plus longue dans le temps que celle imposé par les constructeurs. Une nouvelle éthique serait alors instaurée.
Exit les statuts, grades, compétition à échelle micro ou macro.
Voilà, tel serait alors le grand progrès, le grand espoir que nous laisserions pour les générations futures.

dimanche, juillet 03, 2011

Hugo le droit et la loi


En ces temps difficiles, où la Démocratie et la République ne sont plus que des chimères, il m'a semblé utile de vous partager ce texte de Victor Hugo.
J'ai cru bon reproduire ici l'intégralité du texte, afin de pouvoir suivre le déroulement de la pensée de l'auteur. Il ne manque seulement, les notes de l'éditeur.
Pour ceux qui n'auraient pas le temps de tout lire, commencez par les parties: II, III, VI, VII, X, XI et XII.
Et si vous ne devez retenir qu'une seule phrase, retenez peut-être le conseil donné à Hugo, enfant, par son parrain, général proscrit de l'empire, du nom de Lahorie:
"Enfant, souviens-toi de ceci: avant tout, la liberté."

LE DROIT ET LA LOI 1875

I Toute l'éloquence humaine dans toutes les assemblées de tous les peuples et de tous les temps peut se résumer en ceci: la querelle du droit contre la loi.
Cette querelle, et c'est là tout le phénomène du progrès, tend de plus en plus à décroître. Le jour où elle cessera, la civilisation touchera à son apogée, la jonction sera faite entre ce qui doit être et ce qui est, la tribune politique se transformera en tribune scientifique; fin des surprises, fin des calamités et catastrophes; on aura doublé le cap des tempêtes; il n'y aura pour ainsi dire plus d'évènements; la société se développera majestueusement selon la nature; la quantité d'éternité possible à la terre se mêlera aux faits humains et les apaisera.
Plus de disputes, plus de fictions, plus de parasitismes; ce sera le règne paisible de l'incontestable; on ne fera plus les lois, on les constatera; les lois seront des axiomes; on ne met pas aux voix deux et deux font quatre; le binôme de Newton ne dépend pas d'une majorité; il y a une géométrie sociale; on sera gouverné par l'évidence; le code sera honnête, direct, clair; ce n'est pas pour rien qu'on appelle la vertu la droiture. Cette rigidité fait partie de la liberté; elle n'exclut en rien l'inspiration; les souffles et les rayons sont rectilignes. L'humanité a deux pôles, le vrai et le beau; elle sera régie, dans l'un par l'exact, dans l'autre par l'idéal. Grâce à l'instruction substituée à la guerre, le suffrage universel arrivera à ce degré de discernement qu'il saura choisir les esprits; on aura pour parlement le concile permanent des intelligences; l'Institut sera le sénat. La convention, en créant l'Institut, avait la vision, confuse mais profonde, de l'avenir.
Cette société de l'avenir sera superbe et tranquille. Aux batailles succéderont les découvertes; les peuples ne conquerront plus, ils grandiront et s'éclaireront; on ne sera plus des guerriers, on sera des travailleurs; on trouvera, on construira, on inventera; exterminer ne sera plus une gloire. Ce sera le remplacement des tueurs par les créateurs. La civilisation qui était toute d'action sera toute de pensée; la vie publique se composera de l'étude du vrai et de la production du beau; les chefs-d'oeuvre seront les incidents; on sera plus ému d'une Iliade que d'un Austerlitz. Les frontières s'effaceront sous la lumière des esprits. La Grèce était très petite; notre presqu'île du Finistère superposée à la Grèce, la couvrirait; la Grèce était immense pourtant, immense par Homère, par Eschyle, par Phidias et par Socrate. Ces quatre hommes sont quatre mondes. La Grèce les eut; de là sa grandeur. L'envergure d'un peuple se résume à son rayonnement. La Sibérie, cette géante, est une naine; la colossale Afrique existe à peine. Une ville, Rome, a été l'égale de l'Univers; qui lui parlait parlait à toute la terre. Urbi et orbi.
Cette grandeur, la France l'a, et l'aura de plus en plus. La France a cela d'admirable qu'elle est destinée à mourir; mais à mourir comme les dieux, par la transfiguration. La France deviendra Europe. Certains peuples finissent par la sublimation comme Hercule ou par l'ascension comme Jésus-Christ. On pourrait dire qu'à un moment donné un peuple entre en constellation; les autres peuples, astres de deuxième grandeur, se groupent autour de lui, et c'est ainsi qu'Athènes, Rome et Paris sont pléïades. Lois immenses. La Grèce s'est transfigurée, et est devenue le monde païen, Rome s'est transfigurée, et est devenue le monde chrétien; la France se transfigurera, et deviendra le monde humain. La révolution de France s'appelle l'évolution des peuples. Pourquoi? Parce que la France le mérite; parce qu'elle manque d'égoïsme, parce qu'elle ne travaille pas pour elle seule, parce qu'elle est créatrice d'espérances universelles, parce qu'elle représente toute la bonne volonté humaine, parce que là où les autres nations sont seulement des soeurs, elle est mère.
Cette maternité de la généreuse France éclate dans tous les phénomènes sociaux de ce temps; les autres peuples lui font ses malheurs, elle leur fait leurs idées. Sa révolution n'est pas locale, elle est générale; elle n'est pas définie, elle est indéfinie et infinie. La France restaure en toute chose la notion primitive, la notion vraie. Dans la philosophie elle rétablit la logique, dans l'art elle rétablit la nature, dans la loi elle rétablit le droit.
L'oeuvre est-elle achevée? Non, certes. On ne fait encore qu'entrevoir la plage lumineuse et lointaine, l'arrivée, l'avenir.
En attendant on lutte.
Lutte laborieuse.
D'un côté l'idéal, de l'autre l'incomplet.
Avant d'aller plus loin, plaçons ici un mot qui éclaire tout ce que nous allons dire, et qui va même au delà.
La vie et le droit sont le même phénomène. Leur superposition est étroite.
Qu'on jette les yeux sur les êtres créés, la quantité de droit est adéquate à la quantité de vie.
De là, la grandeur de toutes les questions qui se rattachent à cette notion, le Droit.

II Le droit et la loi, telles sont les deux forces; de leur accord naît l'ordre, de leur antagonisme naissent les catastrophes. Le droit parle et commande du sommet des vérités; la loi réplique du fond des réalités; le droit se meut dans le juste, la loi se meut dans le possible; le droit est divine, la loi est terrestre. Ainsi, la liberté, c'est le droit; la société, c'est la loi. De là deux tribunes: l'une où sont les hommes de l'idée, l'autre où sont les hommes du fait; l'une qui est l'absolu, l'autre qui est le relatif. De ces deux tribunes, la première est nécessaire, la seconde est utile. De l'une à l'autre il y a la fluctuation des consciences. L'harmonie n'est pas faite encore entre ces deux puissances, l'une immuable, l'autre variable, l'une sereine, l'autre passionnée. La loi découle du droit, mais comme le fleuve découle de la source, acceptant toutes les torsions et toutes les impuretés des rives. Souvent la pratique contredit la règle; souvent le corollaire trahit le principe; souvent l'effet désobéit à la cause; telle est la fatale condition humaine. Le droit et la loi contestent sans cesse; et de leur débat, fréquemment orageux, sortent tantôt les ténèbres, tantôt la lumière. Dans le langage parlementaire moderne, on pourrait dire: le droit, chambre haute; la loi, chambre basse.
L'inviolabilité de la vie humaine, la liberté, la paix; rien d'indissoluble, rien d'irrévocable, rien d'irréparable; tel est le droit.
L'échafaud, le glaive et le sceptre, la guerre, toutes les variétés de joug, depuis le mariage sans le divorce dans la famille jusqu'à l'état de siège dans la cité, telle est la loi.
Le droit: aller et venir, acheter, vendre, échanger.
La loi: douane, octroi, frontière.
Le droit: l'instruction gratuite et obligatoire, sans empiètement de la conscience de l'homme, embryonnaire dans l'enfant, c'est-à-dire l'instruction laïque.
La loi: les ignorantins.
Le droit: la croyance libre.
La loi: les religions d'Etat.
Le suffrage universel, le jury universel, c'est le droit; le suffrage restreint, le jury trié, c'est la loi.La chose jugée, c'est la loi; la justice, c'est le droit.
Mesurez l'intervalle.
La loi a la crue, la mobilité, l'envahissement et l'anarchie de l'eau, souvent trouble; mais le droit est insubmersible.
Pour que tout soit sauvé, il suffit que le droit surnage dans une conscience.
On n'engloutit pas dieu.
La persistance du droit contre l'obstination de la loi; toute l'agitation sociale vient de là.
Le hasard a voulu (mais le hasard existe-t-il?)que les premières paroles politiques de quelque retentissement prononcées à titre officiel par celui qui écrit ces lignes aient été d'abord, à l'Institut, pour le droit, ensuite, à la chambre des pairs, contre la loi.
Le 2 juin 1841, en prenant séance à l'Académie française, il glorifia la résistance à l'empire; le 12 juin 1847, il demanda à la Chambre des pairs la rentrée en France de la famille Bonaparte, bannie.
Ainsi, dans le premier cas, il plaidait pour la liberté, c'est-à-dire pour le droit; et dans le second cas, il élevait la voix contre la proscription, c'est à dire contre la loi.
Dés cette époque une des formules de sa vie publique a été: pro jure contra legem.
Sa conscience lui a imposé, dans ses fonctions de législateur, une confrontation permanente et perpétuelle de la loi que les hommes font avec le droit qui fait les hommes.
Obéir à sa conscience est sa règle; règle qui n'admet pas d'exception.
La fidélité à cette règle, c'est là, il l'affirme, ce qu'on trouvera dans ces trois volumes, Avant l'exil, Pendant l'exil, Depuis l'exil.

III Pour lui, il le déclare, car tout esprit doit loyalement indiquer son point de départ, la plus haute expression du droit, c'est la liberté.
La formule républicaine a su admirablement ce qu'elle disait et ce qu'elle faisait; la gradation de l'axiome social est irréprochable. Liberté, Égalité, Fraternité. Rien à ajouter, rien à retrancher. Ce sont les trois marches du perron suprême. La liberté c'est le droit, l'égalité c'est le fait, la fraternité c'est le devoir. Tout homme est là.
Nous sommes frères par la vie, égaux par la naissance et par la mort, libres par l'âme.
Ôtez l'âme, plus de liberté.
Le matérialisme est auxiliaire du despotisme.
Remarquons-le, en passant, à quelques esprits, dont plusieurs sont même élevés et généreux, le matérialisme fait l'effet d'une libération.
Étrange et triste contradiction, propre à l'intelligence humaine, et qui tient à un vague désir d'élargissement d'horizon. Seulement, parfois, ce qu'on prend pour élargissement, c'est rétrécissement.
Constatons, sans les blâmer, ces aberrations sincères. Lui-même, qui parle ici, n'a-t-il pas été, pendant les quarante premières années de sa vie, en proie à une de ces redoutables luttes d'idée qui ont pour dénouement, tantôt l'ascension, tantôt la chute?
Il a essayé de monter. S'il a un mérite, c'est celui-là.
De là les épreuves de sa vie. En toute chose, la descente est douce et la montée est dure. Il est plus aisé d'être Sieyès que Condorcet. La honte est facile, ce qui la rend agréable à de certaines âmes.
N'être pas de ces âmes-là, voilà l'unique ambition de celui qui écrit ces pages.
Puisqu'il est amené à parler de la sorte, il convient peut-être qu'avec la sobriété nécessaire il dise un mot de cette partie du passé à laquelle a été mêlée la jeunesse de ceux qui sont vieux aujourd'hui. Un souvenir peut être un éclaircissement. Quelquefois l'homme qu'on est s'explique par l'enfant qu'on a été.

IV Au commencement de ce siècle, un enfant habitait, dans le quartier le plus désert de Paris, une grande maison qu'entourait et qu'isolait un grand jardin. Cette maison s'était appelée, avant la révolution, le couvent des Feuillantines. Cet enfant vivait là seul, avec sa mère et ses deux frères et un vieux prêtre, ancien oratorien, encore tout tremblant de 93, digne vieillard persécuté jadis et indulgent maintenant, qui était leur clément précepteur, et qui leur enseignait beaucoup de latin, un peu de grec et pas du tout d'histoire. Au fond du jardin, il y avait de très grands arbres qui cachaient une ancienne chapelle à demi ruinée. Il était défendu aux enfants d'aller jusqu'à cette chapelle.
Aujourd'hui ces arbres, cette chapelle et cette maison ont disparu. Les embellissements qui ont sévi sur le jardin du Luxembourg se sont prolongés jusqu'au Val-de-Grâce et ont détruit cet humble oasis. Une grande rue assez inutile passe là. Il ne reste plus des Feuillantines qu'un peu d'herbe et un pan de mur décrépit encore visible entre deux hautes bâtisses neuves; mais cela ne vaut plus la peine d'être regardé, si ce n'est pas l'oeil profond du souvenir. En janvier 1871, une bombe prussienne a choisi ce coin de terre pour y tomber, continuation des embellissements, et M.de Bismark a achevé ce qu'avait commencé M.Haussmann. C'est dans cette maison que grandissaient sous le premier empire les trois jeunes frères. Ils jouaient et travaillaient ensemble, ébauchant la vie, ignorant la destinée, enfances mêlées au printemps, attentifs aux livres, aux arbres, aux nuages, écoutant le vague et tumultueux conseil des oiseaux, surveillés par un doux sourire. Sois bénie, ô ma mère!
On voyait sur les murs, parmi les escaliers vermoulus et décloués, des vestiges de reposoirs, des niches de madones, des restes de croix, et ça et là cette inscription: Propriété nationale.
Le digne prêtre percepteur s'appelait l'abbé de la Rivière. Que son nom soit prononcé ici avec respect.
Avoir été enseigné dans sa première enfance par un prêtre est un fait dont on ne doit parler qu'avec calme et douceur; ce n'est ni la faute du prêtre ni la vôtre. C'est dans des conditions que ni l'enfant ni le prêtre n'ont choisies, une rencontre malsaine de deux intelligences, l'une petite, l'autre rapetissée, l'une qui grandit, l'autre qui vieillit. La sénilité se gagne. Une âme d'enfant peut se rider de toutes les erreurs d'un vieillard.
En dehors de la religion, qui est une, toutes les religions sont des à peu-près; chaque religion a son prêtre qui enseigne à l'enfant son à-peu-près. Toutes les religions, diverses en apparence, ont une identité vénérable; elles sont terrestres par la surface, qui est le dogme, et célestes par le fond, qui est Dieu. De là, devant les religions, la grave rêverie du philosophe qui, sous leur chimère, aperçoit leur réalité. Cette chimère qu'elles appellent articles de foi et mystères, les religions la mêlent à Dieu, et l'enseignent. Peuvent-elles faire autrement? L'enseignement de la mosquée et de la synagogue est étrange; mais c'est innocemment qu'il est funeste; le prêtre, nous parlons du prêtre convaincu, n'en est pas coupable; il est à peine responsable; il a été lui-même anciennement le patient de cet enseignement dont il est aujourd'hui l'opérateur; devenu maître, il est resté esclave. De là ses leçons redoutables. Quoi de plus terrible que le mensonge sincère? Le prêtre enseigne le faux, ignorant le vrai; il croit bien faire.
Cet enseignement a cela de lugubre que tout ce qu'il fait pour l'enfant est fait contre l'enfant; il donne lentement on ne sait quelle courbure à l'esprit; c'est de l'orthopédie en sens inverse; il fait torse ce que la nature a fait droit; il lui arrive affreux chefs d'oeuvre, de fabriquer des âmes difformes, ainsi Torquemada; il produit des intelligences inintelligentes, ainsi Joseph de Maistre; ainsi tant d'autres qui ont été les victimes de cet enseignement avant d'en être les bourreaux.
Étroite et obscure éducation de caste et de clergé qui a pesé sur nos pères et qui menace encore nos fils!
Cet enseignement inocule aux jeunes intelligences la vieillesse des préjugés; il ôte à l'enfant l'aube et lui donne la nuit, et il aboutit à une telle plénitude du passé que l'âme y est comme noyée, y devient on ne sait quelle éponge de ténèbres, et ne peut plus admettre l'avenir.
Se tirer de l'éducation qu'on a reçue, ce n'est pas aisé. Pourtant l'éducation cléricale n'est pas toujours irrémédiable. Preuve, Voltaire.
Les trois écoliers des Feuillantines étaient soumis à ce périlleux enseignement, tempéré, il est vrai, par la tendre et haute raison d'une femme; leur mère.
Le plus jeune des trois frères, quoiqu'on lui fît dés lors épeler Virgile, était encore tout à fait un enfant.
Cette maison des Feuillantines est aujourd'hui son cher et religieux souvenir. Elle lui apparaît couverte d'une sorte d'ombre sauvage. C'est là qu'au milieu des rayons et des roses se faisait en lui la mystérieuse ouverture de l'esprit. Rien de plus tranquille que cette haute masure fleurie, jadis couvent, maintenant solitude, toujours asile. Le tumulte impérial y retentissait pourtant. Par intervalles, dans ces vastes chambres d'abbaye, dans ces décombres de monastère, sous ces voûtes de cloître démantelé, l'enfant voyait aller et venir, entre deux guerres dont il entendait le bruit, revenant de l'armée et repartant pour l'armée, un jeune général qui était son père et un jeune colonel qui était son oncle; ce charmant fracas paternel l'éblouissait un moment; puis, à un coup de clairon, ces visions de plumets et de sabres s'évanouissaient, et tout redevenait paix et silence dans cette ruine où il y avait une aurore.
Ainsi vivait, déjà sérieux, il y a soixante ans, cet enfant qui était moi.
Je me rappelle toutes ces choses, ému.
C'était le temps d'Eylau, d'Ulm, d'Auerstadt et de Friedland, de l'Elbe forcé, de Spandau,d'Erfurt et de Salzbourg enlevés, des cinquante et un jours de tranchée de Dantzick, des neuf cent bouches à feu vomissant cette victoire énorme, Wagram; c'était le temps des empereurs sur le Niemen, et du czar saluant le césar; c'était le temps où il y avait un département du Tibre, Paris chef-lieu de Rome; c'était l'époque du pape détruit au Vatican, de l'inquisition détruite en Espagne, du moyen-âge détruit dans l'agrégation germanique, des sergents faits princes, des postillons faits rois, des archiduchesses épousant des aventuriers; c'était l'heure extraordinaire; à Austerlitz la Russie demandait grâce, à Iéna la Prusse s'écroulait, à Essling l'Autriche s'agenouillait, la confédération du Rhin annexait l'Allemagne à la France, le décret de Berlin, formidable, faisait presque succéder à la déroute de la Prusse la faillite de l'Angleterre, la fortune à Postdam livrait l'épée de Fréderic à Napoléon qui dédaignait de la prendre, disant: "j'ai la mienne." Moi, j'ignorais tout cela, j'étais petit.
Je vivais dans les fleurs.
Je vivais dans ce jardin des Feuillantines, j'y rôdais comme un enfant, j'y errais comme un homme, j'y regardais le vol des papillons et des abeilles, j'y cueillais des boutons d'or et des liserons, et je n'y voyais jamais personne que ma mère, mes deux frères, et le bon vieux prêtre, son livre sous le bras.
Parfois, malgré la défense, je m'aventurais jusqu'au hallier farouche du fond du jardin; rien n'y remuait que le vent, rien n'y parlait que les nids, rien n'y vivait que les arbres; et je considérais à travers les branches la vieille chapelle dont les vitres défoncées laissaient voir la muraille intérieure bizarrement incrustée de coquillages marins. Les oiseaux entraient et sortaient par les fenêtres. Ils étaient là chez eux. Dieu et les oiseaux, cela va ensemble.
Un soir, ce devait être vers 1809, mon père était en Espagne, quelques visiteurs étaient venus voir ma mère, évènement rare aux Feuillantines. On se promenait dans le jardin; mes frères étaient restés à l'écart. Ces visiteurs étaient trois camarades de mon père; ils venaient apporter ou demander de ses nouvelles; ces hommes étaient de haute taille; je les suivais; j'ai toujours aimé la compagnie des grands; c'est ce qui, plus tard, m'a rendu facile un long tête-à-tête avec l'Océan.
Ma mère les écoutait parler, je marchais derrière ma mère.
Il y avait fête ce jour-là, une de ces vastes fêtes du premier empire; quelle fête? Je l'ignorais. Je l'ignore encore. C'était un soir d'été; la nuit tombait, splendide. Canon des Invalides, feu d'artifice, lampions; une rumeur de triomphe arrivait jusqu'à notre solitude; la grande ville célébrait la grande armée et le grand chef; la cité avait un auréole, comme si les victoires étaient une aurore; le bleu devenait lentement rouge; la fête impériale se réverbérait jusqu'au zénith; des deux dômes qui dominaient le jardin des Feuillantines, l'un, tout près, le Val-de-Grâce, masse noire, dressait une flamme à son sommet, et semblait une tiare qui s'achève en escarboucle, l'autre, lointain, le Panthéon, gigantesque et spectral, avait autour de sa rondeur un cercle d'étoiles, comme si, pour fêter un génie, il se faisait une couronne des âmes de tous les grands hommes auxquels il est dédié.
La clarté de la fête, clarté superbe, vermeille, vaguement sanglante, était telle qu'il faisait presque grand jour dans le jardin.
Tout en se promenant, le groupe qui marchait devant moi était parvenu, peut-être un peu malgré ma mère ,qui avait des velléités de s'arrêter et qui semblait ne vouloir pas aller si loin, jusqu'au massif d'arbres où était la chapelle.
Ils causaient, les arbres étaient silencieux, au loin le canon de la solennité tirait de quart d'heure en quart d'heure. Ce que je vais dire est pour moi inoubliable.
Comme ils allaient entrer sous les arbres, un des trois interlocuteurs s'arrêta, et, regardant le ciel nocturne plein de lumière s'écria:
-N'importe! cet homme est grand.
Une voix sortit de l'ombre et dit:
-Bonjour, Lucotte, bonjour, Drouet, bonjour, Tilly.
Et un homme, de haute stature aussi lui, apparut dans le clair-obscur des arbres.
Les trois causeurs levèrent la tête.
-Tiens! s'écria l'un d'eux.
Et il parut prêt à prononcer un nom.
Ma mère, pâle, mit un doigt sur sa bouche.
Ils se turent.
Je regardais, étonné.
L'apparition, c'en était une pour moi, reprit:
-Lucotte, c'est toi qui parlais.
-Oui, dit Lucotte.
-Tu disais cet homme est grand.
-Oui.
-Eh bien, quelqu'un est plus grand que Napoléon.
-Qui?
-Bonaparte.
Il y eut un silence. Lucotte le rompit.
-Après Marengo?
L'inconnu répondit:
-Avant Brumaire.
Le général Lucotte, qui était jeune, riche, beau, heureux, tendit la main à l'inconnu et dit:
-Toi, ici! je te croyais en Angleterre.
L'inconnu, dont je remarquai la face sévère, l'oeil profond et les cheveux grisonnants, repartit:
-Brumaire, c'est la chute.
-De la République, oui.
-Non, de Bonaparte.
Ce mot, Bonaparte m'étonnait beaucoup. J'entendais toujours dire "l'empereur". Depuis, j'ai compris ces familiarités hautaines de la vérité. Ce jour-là, j'entendais pour la première fois le grand tutoiement de l'histoire.
Les trois hommes, c'étaient trois généraux, écoutaient stupéfaits et sérieux.
Lucotte s'écria:
-Tu as raison! Pour effacer Brumaire, je ferais tous les sacrifices. La France grande, c'est bien; la France libre, c'est mieux.
-La France n'est pas grande si elle n'est pas libre.
-C'est encore vrai. Pour revoir la France libre, je donnerais ma fortune. Et toi?
-Ma vie, dit l'inconnu.
Il y eut encore un silence. On entendait le grand bruit de Paris joyeux; les arbres étaient roses; le reflet de la fête éclairaient les visages de ces hommes; les constellations s'effaçaient au-dessus de nos têtes dans le flamboiement de Paris illuminé; la lueur de Napoléon semblait remplir le ciel.
Tout à coup l'homme si brusquement apparu se tourna vers moi qui avais peur et me cachais un peu, me regarda fixement, et me dit:
-Enfant, souviens-toi de ceci:avant tout, la liberté.
Et il posa sa main sur ma petite épaule, tressaillement que je garde encore.
Puis il répéta:
-Avant tout la liberté.
Et il rentra sous les arbres, d'où il venait de sortir.
Qui était cet homme?
Un proscrit.
Victor Fanneau de Lahorie était un gentilhomme breton rallié à la république. Il était l'ami de Moreau, Breton aussi. En Vendée, Lahorie connut mon père, plus jeune que lui de vingt-cinq ans. PLus tard, il fut son ancien à l'armée du Rhin; il se noua entre eux une de ces fraternités d'armes qui font qu'on donne sa vie l'un pour l'autre. En 1801 Lahorie fut impliqué dans la conspiration de Moreau contre Bonaparte. Il fut proscrit; sa tête fut mise à prix; il n'avait pas d'asile; mon père lui ouvrit sa maison; la vieille chapelle des Feuillantines, ruine, était bonne à protéger cette autre ruine, un vaincu. Lahorie accepta l'asile comme il l'eût offert, simplement; et il vécut dans cette ombre, caché.
Mon père et ma mère seuls savaient qu'il était là.
Le jour où il parla aux trois généraux, peut-être fit-il une imprudence.
Son apparition nous surprit fort, nous les enfants. Quant au vieux prêtre, il avait eu dans sa vie une quantité de proscription suffisante pour lui ôter l'étonnement. Quelqu'un qui était caché, c'était pour ce bonhomme quelqu'un qui savait à quel temps il avait affaire; se cacher, c'était comprendre.
Ma mère nous recommanda le silence, que les enfants gardent si religieusement. A dater de ce jour, cet inconnu cessa d'être mystérieux dans la maison. A quoi bon la continuation du mystère, puisqu'il s'était montré? Il mangeait à la table de famille, il allait et venait dans le jardin, et donnait ça et là des coups de bêche, côte à côte avec le jardinier; il nous conseillait; il ajoutait ses leçons aux leçons du prêtre; il avait une façon d eme prendre dans ses bras qui me faisait rire et qui me faisait peur; il m'élevait en l'air, et me laissait presque retomber jusqu'à terre. Une certaine sécurité, habituelle à tous les exils prolongés, lui était venue. Pourtant il ne sortait jamais. Il était gai. Ma mère était un peu inquiète, bien que nous fussions entourés de fidélités absolues.
Lahorie était un homme simple, doux, austère, vieilli avant l'âge, savant, ayant le grave héroïsme propre aux lettrés. Une certaine concision dans le courage distingue l'homme qui remplit un devoir de l'homme qui joue un rôle; le premier est Phocion, le second est Murat. Il y avait du Phocion dans Lahorie.
Nous les enfants, nous ne savions rien de lui, sinon qu'il était mon parrain. Il m'avait vu naître; il avait dit à mon père: Hugo est un mot du Nord, il faut l'adoucir par un mot du Midi, et compléter le germain par le romain. Et il me donna le nom de Victor, qui du reste était le sien. Quant à son nom historique, je l'ignorais. Ma mère lui disait général, je l'appelais mon parrain. Il habitait toujours la masure du fond du jardin, peu soucieux de la pluie et de la neige qui, l'hiver, entraient par les croisées sans vitres; il continuait dans cette chapelle son bivouac. Il avait derrière l'autel un lit de camp, avec ses pistolets dans un coin, et un Tacite qu'il me faisait expliquer.
J'aurai toujours présent à la mémoire le jour où il me prit sur ses genoux, ouvrit ce Tacite qu'il avait, un inoctavo relié en parchemein, édition Herban, et me lut cette ligne: Urbem Romam a principio reges habuere.
Il s'interrompit et murmura à demi-voix:
-Si Rome eût gardé ses rois, elle n'eût pas été Rome. Et, me regardant tendrement, il redit cette grande parole:
-Enfant, avant tout la liberté.
Un jour il disparut de la maison. J'ignorais alors pourquoi. des évènements survinrent; il y eut Moscou, Bérésina, un commencement d'ombre terrible. Nous allâmes rejoindre mon père en Espagne. Puis nous revînmes aux Feuillantines. Un soir d'octobre 1812, je passais, donnant la main à ma mère, devant l'église Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Une grande affiche blanche était placardée sur une des colonnes du portail; celle de droite; je vais quelquefois revoir cette colonne. Les passants regardaient obliquement cette affiche, semblaient en avoir un peu peur, et, après l'avoir entrevue, doublaient le pas.
Ma mère s'arrêta, et me dit: "Lis" Je lus. Je lus ceci:
"-Empire français.-Par sentence du premier conseil de guerre, ont été fusillés en plaine de Grenelle, pour crime de conspiration contre l'empire et l'empereur, les trois ex-généraux Malet, Guidal et Lahorie."
-Lahorie, me dit ma mère. Retiens ce nom.
Et elle ajouta:
-C'est ton parrain.

V Tel est le fantôme que j'aperçois dans les profondeurs de mon enfance. Cette figure est une de celles qui n'ont jamais disparu de mon horizon.
Le temps, loin de la diminuer, l'a accrue.
En s'éloignant elle s'est augmentée, d'autant plus haute qu'elle était plus lointaine, ce qui n'est propre qu'aux grandeurs morales.
L'influence sur moi a été ineffaçable.
Ce n'est pas vainement que j'ai eu, tout petit, de l'ombre de proscrit sur ma tête, et que j'ai entendu la voix de celui qui devait mourir dire ce mot du droit et du devoir: Liberté.
Un mot a été le contre-poids de toute une éducation.
L'homme qui publie aujourd'hui ce recueil, Actes et paroles, et qui dans ces volumes, Avant l'exil, Pendant l'exil, Depuis l'exil, ouvre à deux battants sa vie à ses contemporains, cet homme a traversé beaucoup d'erreurs. Il compte si Dieu lui en accorde le temps, en raconter les péripéties sous ce titre: Histoire des révolutions intérieures d'une conscience honnête.
Tout homme peut s'il est sincère, refaire l'itinéraire, variable pour chaque esprit, du chemin de Damas. Lui, comme il l'a dit quelque part, il est fils d'une Vendéenne, amie de la Rochejaquelain, et d'un soldat de la révolution et de l'empire, ami de Desaix,de Jourdan et de Joseph Bonaparte; il a subi les conséquences d'une éducation solitaire et complexe où un proscrit républicain donnait la réplique à un proscrit prêtre. Il y a toujours eu en lui le patriote sous le vendéen; il a été napoléonien en 1813, bourbonien en 1814; comme presque tous les hommes du commencement de ce siècle, il a été tout ce qu'a été le siècle; illogique et probe, légitimiste et voltairien, chrétien littéraire, bonapartiste libéral, socialiste à tâtons dans la royauté; nuances bizarrement réelles, surprenantes aujourd'hui; il a été de bonne foi toujours; il a eu pour effort de rectifier son rayon visuel au milieu de tous ces mirages; toutes les approximations possibles du vrai ont tenté tour à tour et quelquefois trompé son esprit; ces aberrations successives, où, disons-le, il n'y a jamais eu un pas en arrière, ont laissé trace dans ses oeuvres; on peut en constater çà et là l'influence; mais, il le déclare ici, jamais, dans tout ce qu'il a écrit même dans ses livres d'enfant et d'adolescent, jamais on ne trouvera une ligne contre la liberté. Il y a eu lutte dans son âme entre la royauté que lui avait imposée le prêt catholique et la liberté que lui avait recommandée le soldat républicain; la liberté a vaincu.
Là est l'unité de sa vie.
Il cherche à faire en tout prévaloir la liberté. La liberté c'est, dans la philosophie, la Raison, dans l'art, l'Inspiration, dans la politique, le Droit.

VI En 1848,son parti n'était pas pris sur la forme sociale définitive. Chose singulière, on pourrait presque dire qu'à cette époque la liberté lui masqua la république. Sortant d'une série de monarchies essayées et mises au rebut tour à tour, monarchie impériale, monarchie légitime, monarchie constitutionnelle, jeté dans des faits inattendus qui lui semblaient illogiques, obligé de constater à la fois dans les chefs guerriers qui dirigeaient l'Etat l'honnêteté et l'arbitraire, ayant malgré lui sa part de l'immense dictature anonyme qui est le danger des assemblées uniques, il se décida à observer, sans adhésion, ce gouvernement militaire où il ne pouvait reconnaître un gouvernement démocratique, se borna à protéger les principes quand ils lui parurent menacés et se retrancha dans la défense du droit méconnu. En 1848, il y eut presque un 18 fructidor; les 18 fructidor ont cela de funeste qu'ils donnent le modèle et le prétexte au 18 brumaire, et qu'ils font faire par la république des blessures à la liberté; ce qui, prolongé, serait un suicide. L'insurrection de juin fut fatale, fatale par ceux qui l'allumèrent, fatale par ceux qui l'éteignirent; il la combattit; il fut un des soixante représentants envoyés par l'assemblée aux barricades. Mais, après la victoire, il dut se séparer des vainqueurs. Vaincre, puis tendre la main aux vaincus; telle est la loi de sa vie. On fit le contraire. Il y a bien vaincre et mal vaincre. L'insurrection de 1848 fut mal vécue. Au lieu de pacifier, on envenima; au lieu de relever, on foudroya; on acheva l'écrasement; toute la violence soldatesque se déploya; Cayenne, Lambessa, déportation sans jugement; il s'indigna; il prit fait et cause pour les accablés; il éleva la paix pour toutes ces pauvres familles désespérées; il repoussa cette fausse république de conseils de guerre et d'états de siège. Un jour, à l'Assemblée, le représentant Lagrange, homme vaillant, l'aborda et lui dit: "Avec qui êtes-vous ici?" il répondit: "Avec la liberté." "Et que faites-vous?" reprit Lagrange, il répondit "J'attends."
Après juin 1848, il attendait; mais, après juin 1849, il n'attendit plus.
L'éclair qui jaillit des évènements lui entra dans l'esprit. Ce genre d'éclair, une fois qu'il a brillé, ne s'efface pas. Un éclair qui reste, c'est là la lumière du vrai dans la conscience.
En 1849, cette clarté définitive se fit en lui.
Quand il vit Rome terrassée au nom de la France, quand il vit la majorité, jusqu'alors hypocrite, jeter tout à coup le masque par la bouche duquel, le 4 mai 1848, elle avait dix-sept fois crié: Vive la république! quand il vit, après le 13 juin, le triomphe de toutes les coalitions ennemies du progrès, quand il vit cette joie cynique, il fut triste, il comprit; et, au moment où toutes les mains des vainqueurs se tendaient vers lui pour l'attirer dans leurs rangs, il sentit dans le fond de son âme qu'il était un vaincu. Une morte était à terre; on criait: c'est la république! il alla à cette morte, et reconnut que c'était la liberté. Alors il se pencha vers ce cadavre, et il l'épousa. Il vit devant lui la chute, la défaite, la ruine, l'affront, la proscription; et il dit: C'est bien.
Tout de suite, le 15 juin, il monta à la tribune, et il protesta. A partir de ce jour, la jonction fut faite dans son âme entre la république et la liberté. A partir de ce jour, sans trêve, sans relâche, presque sans reprise d'haleine, opiniâtrement, pied à pied, il lutta pour ces deux grandes calomniées. Enfin, le 2 décembre 1851, ce qu'il attendait, il l'eut:vingt ans d'exil.
Telle est l'histoire de ce qu'on a appelé son apostasie.

VII 1849. Grande date pour lui.
Alors commencèrent les luttes tragiques.
Il y eut de mémorables orages; l'avenir attaquait, le passé résistait.
A cette étrange époque le passé était tout-puissant. Il était omnipotent, ce qui ne l'empêchait pas d'être mort.
Effrayant fantôme combattant.
Toutes les questions se présentèrent: indépendance nationale, liberté individuelle, liberté de conscience, liberté de pensée, liberté de parole, liberté de tribune et de presse, question du mariage dans la femme, question de l'éducation dans l'enfant, droit au travail à propose de la déportation, droit à la vie à propos de la réforme du code, pénalité décroissante, par l'éducation croissante, séparation de l'Eglise et de l'Etat, la propriété des monuments, églises, musées, palais, dits royaux, rendue à la nation; la magistrature restreinte, le jury augmenté; l'armée européenne licenciée par la fédération continentale; l'impôt de l'argent diminué, l'impôt du sang aboli; les soldats retirés au champ de bataille et restitués au sillon comme travailleurs; les douanes supprimées, les frontières effacées, les isthmes coupés, toutes les ligatures disparues, aucune entrave à aucun progrès; les idées circulant dans la civilisation comme le sang dans l'homme. Tout cela fut débattu, proposé, imposé parfois. On trouvera ces luttes dans ce livre.
L'homme qui esquisse en ce moment sa vie parlementaire, entendant un jour les membres de la droite exagérer le droit du père, leur jeta ce mot inattendu: le droit de l'enfant. Un autre jour, sans cesse préoccupé du peuple et du pauvre, il les stupéfia par cette affirmation: On peut détruire la misère.
C'est une vie violente que celle des orateurs. Dans les assemblées ivres de leur triomphe et de leur pouvoir, les minorités étant les trouble-fête sont les souffre-douleur. C'est dur de rouler cet inexorable rocher de Sisyphe, le droit; on le monte, il retombe. C'est là l'effort des minorités.
La beauté du devoir s'impose; une fois qu'on l'a comprise, on lui obéit, plus d'hésitation; le sombre charme du dévouement attire les consciences; et l'on accepte les épreuves avec une joie sévère. L'approche de la lumière a cela de terrible qu'elle devient flamme. Elle éclaire d'abord, réchauffe ensuite, et dévore enfin. N'importe, on s'y précipite. On s'y ajoute. On augmente cette clarté du rayonnement de son propre sacrifice; brûler, c'est briller; quiconque souffre pour la vérité la démontre.
Huer avant de proscrire, c'est le procédé ordinaire des majorités furieuses; elles préludent à la persécution matérielle par la persécution morale, l'imprécation commence ce que l'ostracisme achèvera; elles parent la victime pour l'immolation avec toute la rhétorique de l'injure; et elles l'outragent, c'est leur façon de la couronner.
Celui qui parle ici traversa ces diverses façons d'agir, et n'eut qu'un mérite, le dédain. Il fit son devoir. Et, ayant pour salaire l'affront, il s'en contenta.
Ce qu'étaient ces affronts, on le verra en lisant ce recueil de vérités insultées.
En veut-on quelques exemples?
Un jour, le 17 juillet 1851, il dénonça à la tribune la conspiration de Louis Bonaparte, et déclara que le président voulait se faire empereur. Une voix lui cria:
-Vous êtes un infâme calomniateur!
Cette voix a depuis prêté serment à l'empire, moyennant trente mille francs par an.
Une autre fois, comme il combattait la féroce loi de déportation, une voix lui jeta cette interruption:
-Et dire que ce discours coûtera vingt-cinq francs à la France.
Cet interrupteur-là aussi a été sénateur de l'empire.
Une autre fois, on ne sait qui, sénateur également plus tard, l'apostrophait ainsi:
-Vous êtes l'adorateur du soleil levant!
Du soleil levant de l'exil, oui.
Le jour où il dit à la tribune ce mot que personne encore n'avait prononcé: les Etats-Unis d'Europe, M.Molé fut remarquable. Il leva les yeux au ciel, se dressa debout, traversa toute la salle, fit signe aux membres de la majorité de le suivre, et sortit. On ne le suivit pas; il rentra. Indigné.
Parfois les huées et les éclats de rire duraient un quart d'heure. L'orateur qui parle ici en profitait pour se recueillir.
Pendant l'insulte, il s'adossait au mur de la tribune et méditait.
Ce même 17 juillet 1851 fut le jour où il prononça le mot: "Napoléon le Petit." Sur ce mot, la fureur de la majorité fut telle et éclata en de si menaçantes rumeurs que cela s'entendait du dehors et qu'il y avait foule sur le pont de la Concorde pour écouter ce bruit d'orage.
Ce jour-là, il monta à la tribune, croyant y rester vingt minutes; il y resta trois heures.
Pour avoir entrevu et annoncé le coup d'Etat, tout le futur sénat du futur empire le déclara "calomniateur". Il eut contre lui tout le parti de l'ordre et toutes les nuances conservatrices, depuis M.de Falloux, catholique, jusqu'à M.Vieillard, athée.
Etre un contre tous, cela est quelquefois laborieux.
Il ripostait dans l'occasion, tâchant de rendre coup pour coup.
Une foi, à propos d'une loi d'éducation cléricale cachant l'asservissement des études sous cette rubrique: liberté d'enseignement, il lui arriva de parler du moyen âge, de l'inquisition, de Savonarole, de Giordano Bruno et de Campanella, appliqué vingt-sept fois à la torture pour ses opinions philosophiques, les hommes de la droite, lui crièrent:
-A la question!
Il les regarda fixement, et leur dit:
-Vous voudriez bien m'y mettre.
Cela les fit taire.
Un autre jour, je répliquais à je ne sais quelle attaque d'un Montalembert quelconque, la droite entière s'associa à l'attaque, qui était, cela va sans dire, un mensonge, quel mensonge? Je l'ai oublié; on trouvera cela dans ce livre; les cinq cent myopes de la majorité s'ajoutèrent à leur orateur, lequel n'était pas du reste sans quelque valeur, et avait l'espèce de talent possible à une âme médiocre; on me donna l'assaut à la tribune, et j'y fus quelques temps comme aboyé par toutes les vociférations folles et pardonnables de la colère inconsciente; c'était un vacarme de meute; j'écoutais ce tumulte avec indulgence, attendant que le bruit cessât pour continuer ce que j'avais à dire; subitement, il y eut un mouvement au banc des ministres; c'était le duc de Montebello, ministre de la marine, qui se levait; le duc quitta sa place, écarta frénétiquement les huissiers, s'avança vers moi et me jeta une phrase qu'il comprenait peut-être et qui avait évidemment la volonté d'être hostile; c'était quelque chose comme: Vous êtes un empoisonneur public! Ainsi caractérisé à bout portant et effleuré par cette intention de meurtrissure, je fis un signe de la main, les clameurs s'interrompirent, on est furieux, mais curieux, on se tut, et dans ce silence d'attente, de ma voix la plus polie, je dis:
-Je ne m'attendais pas, je l'avoue, à recevoir le coup de pied de...
Le silence redoubla et j'ajoutai:
-...Monsieur de Montebello.
Et la tempête s'acheva par un rire qui, cette fois, ne fut pas contre moi.
Ces choses-là ne sont pas toujours au Moniteur
Habituellement la droite avait beaucoup de verve.
-Vous ne parlez pas français! -Portez cela à la Porte-Saint-Martin! -Renégat! -Buveur de sang! -Bête féroce! -Poëte!
Tel était le crescendo.
Injure, ironie, sarcasme, et çà et là la calomnie. S'en fâcher, pourquoi? Washington, traité par la presse hostile, d'escroc et de filou (pick-pocket), en rit dans ses lettres.
Un jour, un célèbre ministre anglais, éclaboussé à la tribune de la même façon, donna une chiquenaude à sa manche, et dit: Cela se brosse. Il avait raison. Les haines, les noirceurs, les mensonges; boue aujourd'hui, poussière demain.
Ne répondons pas à la colère par la colère.
Ne soyons pas sévères pour des cécités.
"Ils ne savent ce qu'ils font" a dit quelqu'un sur le Calvaire; "ils ne savent ce qu'ils disent," n'est pas moins mélancolique ni moins vrai. Le crieur ignore son cri. L'insulteur est-il responsable de l'insulte? A peine.
Pour être responsable il faut être intelligent.
Les chefs comprenaient jusqu'à un certain point les actions qu'ils commettaient; les autres non.
La main est responsable, la fronde l'est peu, la pierre ne l'est pas.
Fureurs, injustices, calomnies, soit.
Oublions ces brouhaha.

VII Et puis, car il faut dire, c'est si bon la bonne foi, sans les collisions d'assemblée rappelées ici, l'orateur n'a-t-il rien eu à se reprocher? Ne lui est-il jamais arrivé de se laisser conduire par le mouvement de la parole au delà de sa pensée? Avouons-le, c'est dans la parole qu'il y a du hasard. On ne sait quel trépied est mêlé à la tribune, ce lieu sonore est un lieu mystérieux, on y sent l'effluve inconnu, le vaste esprit de tout un peuple vous enveloppe et s'infiltre dans votre esprit, la colère des irrités vous gagne, l'injustice des injustes vous pénètre, vous sentez monter en vous la grande indignation sombre, la parole va et vient de la conviction fixe et sereine à la révolte plus ou moins mesurée contre l'incident inattendu; de là des oscillations redoutables. On se laisse entraîner, ce qui est un danger, et emporter, ce qui est un tord. On fait des fautes de tribune. L'orateur qui se confesse ici n'y a point échappé.
En dehors des discours purement de réplique et de combat, tous les discours de tribune qu'on trouvera dans ce livre ont été ce qu'on appelle improvisés. Expliquons-nous sur l'improvisation. L'improvisation , dans les graves questions politiques, implique la préméditation, provisam rem, dit Horace. La préméditation fait que, lorsqu'on parle, les mots ne viennent pas malgré eux; la longue incubation de l'idée facilite l'éclosion immédiate de l'expression. L'improvisation n'est pas autre chose que l'ouverture subite et à volonté de ce réservoir, le cerveau; mais il faut que le réservoir soit plein. De la plénitude de la pensée résulte l'abondance de la parole. Au fond, ce que vous improviser semble nouveau à l'auditoire, mais est ancien chez vous.Celui-là parle bien qui dépense la méditation d'un jour, d'une semaine, d'un mois, de toute sa vie parfois, en une parole d'une heure. Les mots arrivent aisément, surtout à l'orateur qui est écrivain, qui a l'habitude de leur commander et d'être servi par eux, et qui, lorsqu'il les sonne, les fait venir. L'improvisation, c'est la veine piquée; l'idée jaillit. Mais cette facilité même est un péril. Toute rapidité est dangereuse. Vous avez chance et vous courez risque de mettre la main sur l'exagération et de la lancer à vos ennemis. Le premier mot venu est quelquefois un projectile. De là l'excellence des discours écrits.
Les assemblées y reviendront peut-être.
Est-ce qu'on peut être orateur avec un discourt écrit? On a fait cette question. Elle est étrange. Tous les discours de Démosthène et de Cicéron sont des discours écrits.
Ce discours sent l'huile, disait le zoïle quelconque de Démosthène. Royer-Collard, ce pédant charmant, ce grand esprit étroit, était un orateur; il n'a prononcé que des discours écrits; il arrivait, et posait son cahier sur la tribune. Les trois quarts des harangues de Mirabeau sont des harangues écrites, qui parfois même, et nous le blâmons de ceci, ne sont pas de Mirabeau; il débitait à la tribune, comme de lui, tel discours qui était de Talleyrand, tel discours qui était de Malouet, tel discours qui était de je ne sais plus quel Suisse dont le nom nous échappe. Danton écrivait souvent ses discours; on en a retrouvé des pages, toutes de sa main, dans son logis de la cour du Commerce. Quant à Robespierre, sur dix harangues, neuf sont écrites. Dans les nuits qui précédaient son apparition, à la tribune, il écrivait ce qu'il devait dire, lentement, correctement, sur sa petite table de sapin, avec un Racine ouvert sous les yeux.
L'improvisation a un avantage, elle saisit l'auditoire; elle saisit aussi l'orateur; c'est là son inconvénient. Elle pousse à ces excès de polémique oratoire qui sont comme le pugilat de la tribune. Celui qui parle ici, réserve faite de la méditation préalable, n'a prononcé dans les assemblées que des discours improvisés. De là des violences de parole; de là des fautes. Il s'en accuse.

IX Ces hommes des anciennes majorités ont fait tout le mal qu'ils ont pu. Voulaient-ils faire le mal? Non; ils trompaient,mais ils se trompaient; c'est là leur circonstance atténuante. Ils croyaient avoir la vérité, et ils mentaient au service de la vérité; leur pitié pour la société était impitoyable pour le peuple. De là tant de lois et tant d'actes aveuglément féroces. Ces hommes, plutôt cohue que sénat, assez innocents au fond, criaient pêle-mêle sur leur bancs, ayant des ressorts qui les faisaient mouvoir, huant ou applaudissant selon le fil tiré, proscrivant au besoin, pantins pouvant mordre. Ils avaient pour chef les meilleurs d'entre eux, c'est à dire les pires. Celui-ci, ancien libéral rallié aux servitudes, demandant qu'il n'y eût plus qu'un seul journal, le Moniteur, ce qui faisait dire à son voisin l'évêque Parisis: Et encore! Cet autre, pesamment léger, académicien de l'espèce qui parle bien et écrit mal; cet autre, habit noir, cravate blanche, cordon rouge, gros souliers, président, procureur, tout ce qu'on veut, qui eût pu être Cicéron s'il n'avait pas été Guy-Patin, jadis avocat spirituel, le dernier des lâches; cet autre, homme de simarre et grand juge de l'empire à trente ans, remarquable maintenant par son chapeau gris et son pantalon de nankin, sénile dans sa jeunesse, juvénile dans sa vieillesse, ayant commencé comme Lamoignon et finissant comme Brummel; cet autre ancien héros déformé, interrupteur injurieux, vaillant soldat devenu clérical trembleur, général devant Abd-el-Kader, caporal derrière Nonotte et Patouillet, se donnant, lui si brave, la peine d'être bravache; et ridicule par où il eût dû d'être admiré, ayant réussi à faire de sa très-réelle renommée militaire un épouvantail postiche, lion qui coupe sa crinière et s'en fait une perruque; cet autre, faux orateur, ne sachant que lapider avec des grossièretés et n'ayant de ce qui était dans la bouche de Démosthène que des cailloux; celui-ci, déjà nommé, d'où était sorti l'odieuse parole Expédition de Rome à l'intérieur, vanité du premier ordre, parlant du nez par élégance, jargonnant, le lorgnon à l'oeil, une petite éloquence impertinente, homme de bonne compagnie un peu poissard, mêlant la halle à l'hôtel de Rambouillet, jésuite longtemps échappé dans la démagogie, abhorrant le czar en Pologne et voulant le knout à Paris, poussant le peuple à l'église et à l'abattoir, berger de l'espèce bourreau; cet autre insulteur aussi, et non moins zélé serviteur de Rome, intrigant du bon Dieu, chef paisible des choses souterraines, figure sinistre et douce avec le sourire de la rage; cet autre...
-Mais je m'arrête. A quoi bon ce dénombrement? Et caetera, dit l'histoire. Tous ces masques sont déjà des inconnus. Laissons tranquille l'oubli reprenant ce qui à lui. Laissons la nuit tomber sur les hommes de nuit. Le vent du soir emporte de l'ombre; laissons-le faire. En quo cela nous regarde-t-il, un effacement de silhouettes à l'horizon?
Passons.
Oui, soyons indulgents. S'il y a eu pour plusieurs d'entre nous quelque labeur et quelque épreuve, une tempête plus ou moins longue, quelques jets d'écume sur l'écueil, un peu de ruine, un peu d'exil, qu'importe si la fin est bonne pour toi, France, pour toi, peuple! qu'importe l'augmentation de la souffrance de quelques-uns s'il y a diminution de souffrances pour tous! La proscription est dure, la calomnie est noire, la vie loin de la patrie est une insomnie luguubre, mais qu'importe si l'humanité grandit et se délivre! qu'importe nos douleurs si les questions avancent, si les problèmes se simplifient, si les solutions mûrissent, si à travers la claire-voie des impostures et des illusions on aperçoit de plus en plus distinctement la vérité! qu'importe dix-neuf de froide bise à l'étranger, qu'importe l'absence mal reçue au retour, si, devant l'ennemi, Paris charmant devient Paris sublime, si la majesté de la grande nation s'accroît par le malheur, si la France mutilée laisse par ses plaies de la vie pour le monde entier! qu'importe si les ongles repoussent à cette mutilée, et si l'heure de la restitution arrive! qu'importe si, dans un prochain avenir, déjà distinct et visible, chaque nationalité reprend sa figure naturelle, la Russie jusqu'à l'Inde, l'Allemagne jusqu'au Danube, l'Italie jusqu'aux Alpes, la France jusqu'au Rhin, l'Espagne ayant Gibraltar, et Cuba ayant Cuba; rectifications nécessaires à l'immense amitié future des nations! c'est tout cela que nous avons voulu; nous l'aurons.
Il y a des raisons sociales, il y a pour la civilisation des traversées climatériques; qu'importe notre fatigue dans l'ouragan; et qu'est ce que cela fait que nous ayons été malheureux si c'est pour le bien, si décidément le genre humain passe de son décembre à son avril, si l'hiver des despotismes et des guerres est fini, s'il ne nous neige plus de superstitions et de préjugés sur la tête, et si, après toutes les nuées évanouies, féodalités, monarchies, empires, tyrannies, batailles et carnages, nous voyons enfin poindre à l'horizon rose cet éblouissant floréal des peuples, la paix universelle!

X Dans tout ce que nous disons ici, nous n'avons que prétention, affirmer l'avenir dans la mesure du possible.
Prévoir ressemble quelquefois à errer; le vrai trop lointain fait sourire.
Dire qu'un oeuf a des ailes, cela semble absurde et est pourtant véritable.
L'effort du penseur c'est de méditer utilement.
Il y a la méditation perdue qui est rêverie, et la méditation féconde qui est incubation. Le vrai penseur couve.
C'est de cette incubation que sortent, à des heures voulues, les diverses formes du progrès destinées à s'envoler dans le grand possible humain, dans la réalité, dans la vie.
Arrivera-t-on à l'extrémité du progrès?
Non.
Il ne faut pas rendre la mort inutile. L'homme ne sera complet qu'après la vie.
Approcher toujours, n'arriver jamais; telle est la loi. La civilisation est une asymptote.
Toutes les formes du progrès sont la Révolution.
La Révolution, c'est là ce que nous faisons, c'est là ce que nous pensons, c'est là ce que nous parlons, c'est là ce que nous avons dans la bouche, dans la poitrine, dans l'âme.
La Révolution, c'est la respiration nouvelle de l'humanité.
La Révolution, c'est hier, c'est aujourd'hui et c'est demain.
De là, disons-le, la nécessité et l'impossibilité d'en faire l'histoire.
Pourquoi?
Parce qu'il est indispensable de raconter hier et parce qu'il est impossible de raconter demain.
On ne peut que le déduire et le préparer. C'est ce que nous tâchons de faire.
Insistons, cela n'est jamais inutile sur cette immensité de la Révolution.

XI La Révolution tente tous les puissants esprits, et c'est à celui qui s'en approchera, les uns, comme Lamartine, pour la peindre, les autres comme Michelet, pour l'expliquer, les autres, comme Quinet, pour la juger, les autres, comme Louis Blanc, pour la féconder.
Aucun fait humain n'a eu de plus magnifiques narrateurs, et pourtant cette histoire sera toujours offerte aux historiens comme à faire.
Pourquoi? Parce que toutes les histoires sont l'histoire du passé, et que, répétons-le, l'histoire de la Révolution est l'histoire de l'avenir. La Révolution a conquis en avant; elle a découvert et annoncé le grand Chanaan de l'humanité; il y a dans ce qu'elle nous a apporté encore plus de terre promise; et à mesure qu'une de ces conquêtes faites d'avance entrera dans le domaine humain, à mesure qu'une de ces promesses se réalisera, un nouvel aspect de la Révolution se révélera, et son histoire sera renouvelée. Les histoires actuelles n'en seront pas moins définitives, chacune à son point de vue; les historiens contemporains domineront même l'historien futur comme Moïse domine Cuvier; mais leurs travaux se mettront en perspective et feront partie de l'ensemble complet. Quand cet ensemble sera-t-il complet? Quand le phénomène sera terminé; c'est-à-dire quand la révolution de France sera devenue, comme nous l'avons indiqué dans les premières pages de cet écrit, d'abord révolution d'Europe, puis révolution de l'homme; quand l'utopie se sera consolidée en progrès, quand l'ébauche aura abouti au chef-d'oeuvre; quand à la coalition fratricide des rois aura succédé la fédération fraternelle des peuples, et à la guerre contre tous, la paix pour tous. Impossible, à moins d'y ajouter le rêve de compléter dès aujourd'hui ce qui ne se complétera que demain, et d'achever l'histoire d'un fait inachevé, surtout quand ce fait contient une telle végétation d'évènements futurs. Entre l'histoire et l'historien la disproportion est trop grande.
Rien de plus colossal. Le total échappe. Regardez ce qui est déjà derrière nous. La Terreur est un cratère, la Convention est un sommet. Tout l'avenir est en fermentation dans ces profondeurs. Le peintre est effaré par l'inattendu des escarpements; les lignes trop vastes dépassent l'horizon. Le regard humain a des limites, le procédé divin n'en a pas. Dans ce tableau à faire vous vous borneriez à un seul personnage, prenez qui vous voudrez, que vous y sentiriez l'infini. D'autres horizons sont moins démesurés. Ainsi, par exemple, à un moment donné de l'histoire, il y a d'un côté Tibère et de l'autre Jésus; mais le jour où Tibère et Jésus font leur jonction dans un homme et s'amalgament dans un être formidable ensanglantant la terre et sauvant le monde, l'historien romain lui-même aurait un frisson, et Robespierre déconcerterait Tacite. Par moments on craint de finir par être forcé d'admettre une sorte de loi morale mixte qui semble se dégager de tout cet inconnu. Aucune des dimensions du phénomène ne s'ajuste à la nôtre. La hauteur est inouïe et se dérobe à l'observation. Si grand que soit l'historien, cette énormité le déborde. La révolution française racontée par un homme, c'est un volcan expliqué par une fourmi.

XII Que conclure? une seule chose. En présence de cet ouragan énorme, pas encore fini, entr'aidons-nous les uns les autres.
Nous ne sommes pas assez hors de danger pour ne point nous tendre la main.
Ô mes frères, réconcilions-nous.
Prenons la route immense de l'apaisement. On s'est assez haï. Trêve. Oui, tendons nous la main. Que les grands aient pitié des petits, et que les petits fassent grâce aux grands. Quand donc comprendra-t-on que nous sommes sur le même navire, et que le naufrage est indivisible? Cette mer qui nous menace est assez grande pour nous; il y a de l'abîme pour vous comme pour moi. Je l'ai dit déjà ailleurs, et je le répète. Sauver les autres, c'est se sauver soi-même. La solidarité est terrible, mais la fraternité est douce: l'une engendre l'autre. Ô mes frères, soyons frères!
Voulons-nous terminer notre malheur? renonçons à notre colère. Réconcilions-nous. Vous verrez comme ce sourire sera beau.
Envoyons aux exils lointains la flotte lumineuse du retour; restituons les maris aux femmes, les travailleurs aux ateliers, les familles aux foyers; restituons-nous à nous-mêmes ceux qui ont été nos ennemis. Est-ce qu'il n'est pas enfin temps de s'aimer? Voulez-vous qu'on ne recommence pas? finissez. Finir, c'est absoudre. En sévissant, on perpétue. Qui tue son ennemi fait vivre la haine. Il n'y a qu'une façon d'achever les vaincus, leur pardonner. Les guerres civiles s'ouvrent par toutes les portes et se ferment par une seule, la clémence. La plus efficace des répression c'est l'amnistie. Ô femmes qui pleurez, je voudrais vous rendre vos enfants.
Ah! je songe aux exilés. J'ai par moments le coeur serré. Je songe au mal du pays. J'en ai eu ma part peut-être. Sait-on de quelle nuit tombante se compose la nostalgie? Je me figure la sombre âme d'un pauvre enfant de vingt ans qui sait à peine ce que la société lui veut, qui subit pour on ne sait quoi, pour un article de journal, pour une page fiévreuse écrite dans la folie, ce supplice démesuré, l'exil éternel, et qui, après une journée de bagne, au crépuscule venu, s'assied sur la falaise sévère, accablé sous l'énormité de la guerre civile et sous la sérénité des étoiles! Chose horrible, le soir et l'Océan à cinq mille lieues de sa mère!
Ah! pardonnons!
Ce cri de nos âmes n'est pas seulement tendre, il est raisonnable. La douceur n'est pas seulement la douceur, elle est l'habileté. Pourquoi condamner l'avenir au grossissement des vengeances gonflées de pleurs, et à la sinistre répercussion des rancunes? Allez dans les bois, écoutez les échos et songez aux représailles; cette voix obscure et lointaine qui vous répond, c'est votre haine qui revient contre vous. Prenez garde, l'avenir est bon débiteur, et votre colère, il vous la rendra. Regardez les berceaux; ne leur noircissez pas la vie qui les attend. Si nous n'avons pas pitié des enfants des autres, ayons pitié de nos enfants. Apaisement! apaisement! Hélas! nous écoutera-t-on?
N'importe, persistons, nous qui voulons qu'on guérisse et non qu'on mutile, nous qui voulons qu'on vive et non qu'on meure. Les grandes lois d'en haut sont avec nous. Il y a un profond parallélisme entre la lumière qui nous vient du soleil et la clémence qui nous vient de Dieu. Il y aura une heure de pleine fraternité, comme il y a une heure de plein midi. Ne perds pas courage, ô pitié! Quant à moi, je ne me lasserai pas, et ce que j'ai écrit dans tous mes livres, ce que j'ai attesté par tous mes actes, ce que j'ai dit à tous les auditoires, à la tribune des pairs comme dans le cimetière des proscrits; à l'Assemblée nationale de France comme à la fenêtre lapidée de la place des Barricades de Bruxelles, je l'attesterai, je l'écrirai et je le dirai sans cesse: il faut s'aimer, s'aimer, s'aimer! Les heureux doivent avoir pour malheur les malheureux; l'égoïsme social est un commencement de sépulcre; voulons-nous vivre, mêlons nos coeurs, et soyons l'immense genre humain. Marchons en avant, remorquons en arrière. La prospérité matérielle n'est pas la félicité morale, l'étourdissement n'est pas la guérison, l'oubli n'est pas le payement. Aidons, protégeons, secourons, avouons la faute publique et réparons-la. Tout ce qui souffre accuse, tout ce qui pleure dans l'individu saigne dans la société, personne n'est tout seul, toutes les fibres vivantes tressaillent ensemble et se confondent, les petits doivent être sacrés aux grands, et c'est du droits de tous les faibles que se compose le devoir de tous les forts. J'ai dit.

Paris, juin 1875.