jeudi, mars 17, 2011

l'île aux fleurs

court métrage brésilien assez cynique sur la triste réalité de nos existences pouvant se résumer à un mot: l'argent....

http://video.google.fr/videoplay?docid=5681159585444975111#

lundi, mars 14, 2011

Engagement dans l'exil: une famille de républicains espagnols





Depuis le 23 octobre 2010, le musée Jean Moulin, situé non loin de la gare de Montparnasse, reçoit

l'exposition « Engagement dans l'Exil: une famille de républicains espagnols ». Celle ci se tiendra

jusqu'au 26 juin 2011.

Ce musée ainsi que le mémorial Leclerc qui le jouxte sont tous deux dédiés à la résistance française

et , plus particulièrement à ces deux hommes, figures centrales de la résistance. Les deux sont créés

en 1994 , à la suite notamment de la donation des collections de la Fondation du Maréchal Leclerc

ainsi qu'au legs d'Antoinette Sasse-à la condition de créer un musée Jean Moulin-.1

Exposition itinérante, elle s'est déjà tenue en 2008 à l'espace Valmy d'Argelès sur mer, au musée

mémorial de l'Exil à la Junquera en Espagne (Catalogne) et au Centre de la Mémoire d'Oradour sur

Glane.

Elle a la particularité de rassembler diverses œuvres réalisées par la famille Castillo. Ainsi, des

descendants reviennent sur le destin de Francisco Castillo Guerrero et Gloria Castillo Abad,

espagnols exilés en France lors de la Retirada, après la quasi victoire de Franco en 1939, qui s'est

produite de fin janvier à février 1939. Des villes comme Madrid ou Valence ne sont pas encore

tombées.

Faut-il rappeler que la guerre d'Espagne, qui eut lieu de juillet 1936 à mars 1939, pour certains

répétition de la seconde guerre mondiale, attirant de nombreux volontaires de tous pays du côté

républicains, se solda par l'exil de bons nombres d'espagnols, craignant notamment les répressions

franquistes qui déjà avaient faites de nombreuses victimes?

Cette exposition fait donc intervenir tour à tour mémoire individuelle, mémoire familiale et

mémoire collective, grâce à des liens, des ponts qui sont rendus visibles à nos yeux, par le biais de

leur création artistique. Il est donc intéressant d'observer comment cette exposition joue sur ces

différents degrés de mémoire, mais aussi les oublis et les silences, pour nous transmettre un

événement historique, certes peu étudier dans les programmes scolaires, mais qui a marqué pour

longtemps les esprits et nourri entre autre une riche littérature universitaire sur ce sujet.

Dans un premier temps, il me semble nécessaire de revenir sur le parcours ou plutôt les espaces de

cette exposition, puis je tâcherai de mettre en lumière ces ponts qui,selon moi, permettent une

transmission peu commune de l'évènement au plus grand nombre.





Dans une même salle, le visiteur peut voir tour à tour des tableaux, sculptures, dessins et vidéo.

L'exposition s'ouvre avec un portrait du grand-père, réalisé à partir d'une photographie, lorsqu'il

était engagé dans la guerre civile, côté républicain. Comme en écho, créant une sorte de symétrie, le

portrait de la grand-mère,-du temps de sa jeunesse, elle aussi, a été placer sur la cloison parallèle.

Très vite; leur sont associés des statuettes représentant l'exil. Des petits groupes, n'ayant que

quelques sacs, parfois qu'une simple valise, semblent s'être arrêtés. Très vite l'œil est attiré par une

composition plus importante de sculpture, donnant naissance à cet exil, si marquant pour bon

nombre d'espagnols, une fois la guerre terminée. Tout autour des tableaux semblent répondre à ce

statuaire. Certains d'entre eux représentent également cette foule d'anonymes abandonnant leur

maison et leur pays pour les routes menant à la frontière franco-espagnole.

Il y a également allusion aux camps dans lesquels séjourna Francisco Castillo Guerrero. Ce fut

d'abord celui d'Argelès, puis, durant la seconde guerre mondiale, celui de Compiègne et enfin le

camps allemand de Neuengamme. Tant espéré, le retour au pays est également abordé, d'abord

comme un rêve qui deviendra ensuite réalité.

Se détachant du destin du grand-père, les dessins abordent de manière plus générale les luttes contre

le fascisme et les régimes dictatoriaux, avec humour, et parfois à grand renfort de métaphores ou

d'allégories. On retrouve également des portraits de famille (grands-parents et arrières grands-

parents), besoin d'ancrer ces évènements dans l'histoire familiale ou bien conscience que cette

famille faisait partie à part entière de l'Histoire, prenant part ou subissant ces évènements.

On termine notre parcours en retrouvant le grand-père grâce à un montage vidéo alternant interview

témoignage et « film de famille », mais également un témoignage écrit reproduisant les quelques

pages écrites par celui-ci en 1979, à la demande de ses amis et sa famille. Force est de constater,

qu'il ne dira pas grand chose des évènements auxquels il participa, que ce soit la guerre civile

espagnole, sa participation à la résistance et ses périodes d'internement dans les camps.

Le visiteur peut enfin écouter un morceau de musique, de 10 minutes , à la guitare électrique,

symbolisant selon le carton d'accompagnement l'idée de révolution mais également les idées ou

idéaux défendus par cet homme, dans lesquels nous pouvons également nous retrouver.

Si nous reprenons maintenant l'arbre généalogique de la famille, nous constatons que ce sont deux

enfants et six petits enfants qui sont les auteurs de cette exposition. Je cite donc dans l'ordre:

Gloria Castillo Magar (la fille), Serge Castillo Abad (le fils), puis Clément et Jérémie Magar

Castillo, Ana et Pablo Castillo Deschamps, François et Raphaël Maiorana Castillo2. Cette famille

est également commissaire de l'exposition en compagnie de la directrice du musée et a participé à la

rédaction des cartons accompagnant les œuvres.

Elle est donc omniprésente du début jusqu'à la fin. A ses côtés, d'autres personnes ou associations

ont tenu à apporter leur soutien, comme notamment l'association FFREEE (Fils et Filles de

Républicains Espagnols et Enfants de l'Exode).

Plus visibles, de larges affiches sont là pour prendre de la distance et expliquer l'histoire elle-même,

à grand renforts de cartes et de reproductions de photographies, d'illustrations et couvertures de

journaux de l'époque.

Dernière intervention de la famille, celle-ci a également confié divers papiers d'identités de

Francisco et Gloria reproduits sur ces mêmes affiches explicatives, papiers français -comme la

carte du consulat français,carte d'appartenance aux combattants étrangers -; les routes pour la

France qu'ont parcourue Francisco et Gloria ainsi que les chemins privilégiés par la majorité de ces

émigrés (France et Mexique) reproduits par le musée.

Le parcours se veut fluide, le regard se pose assez facilement d'une toile à un groupe de sculptures,

logique de la muséographie en contradiction avec l'évènement vécu. Mais ce paradoxe était de toute

façon nécessaire pour que le visiteur appréhende au mieux cette exposition. Il ne s'agit pas temps de

recréer et de privilégier une émotion -même si les émotions ne sont pas exclues- que de faire

comprendre l'évènement, ou plutôt l'expérience de l'évènement. Il ne s'agit pas temps de nous faire

revivre -chose de toute façon impossible, même avec les meilleurs techniques du numériques et du

virtuels- que de transmettre. On peut néanmoins regretter que cette exposition ne regroupe que

quelques œuvres, se recentrant sur l'évènement traumatique de la Retirada, l'expérience des camps

(français ou allemand) n'est qu'esquisser. Mais, comme le rappelle Geneviève Dreyfus-Armand,

« Jamais, dans sa longue histoire des migrations, l'Espagne n'a connu une vague d'émigration

considérable, par son ampleur et sa durée, que celle de la Guerre civile; jamais non plus, la France

n'a accueilli sur son sol un exode aussi massif et soudain »3. Des deux côtés, l'ampleur de

l'évènement marque: défaite, perte de tout, humiliation (désarmement, fouille des soldats), camps

pour les Espagnols, catastrophe humanitaire, difficulté de l'accueil,peur du Rouge pour les Français

La transmission et la compréhension semblent donc parcellaire, à l'image de la mémoire donc,

incluant oublis volontaires ou non, jeux de l'inconscient sans doute et de l'imaginaire ici, lacunes de

la connaissance proprement dite de cette longue période de l'histoire.

Nous pouvons dors et déjà dire que, pour cette exposition, muséographie et historiographie

semblent, au premier abord, n'avoir que peu de places.

Mais en nous tenant à cette première lecture rapide, ne risquons-nous pas de passer à côtés de

détails importants pour la compréhension? Peut-être est il donc important de revenir sur le travail de

chacun d'eux, afin de faire apparaître les ponts dont je parlais ultérieurement.

Il me semble logique de commencer par les œuvres centrales, à savoir les sculptures réalisées par

Serge et Pablo. Travail à quatre mains pour ces sculptures favorisant le groupe, le nombre.

Le regard peut s'attarder ça et là sur les visages. Il est donc permis d'individualiser notre approche,

d'imaginer les vies de ces gens jetés sur les routes avec un maigre bagages, le regard souvent

hagard, perdu, ne sachant que ce qu'ils quittent, ce qu'ils fuient et non ce qu'ils vont trouver. Des

hommes, portant encore l'uniforme de l'armée républicaine, mais désarmés, côtoient des civils de

tous âges et d'origines diverses. Nous sommes donc déjà de l'autre côté de la frontière Cette foule

semble se diviser en deux importants groupes, disposée sur deux estrades centrales donc, l'une à

l'entrée et l'autre au fond de la salle. C'est cette seconde scène d'exil qui m'a le plus interpellée.

Ainsi, deux enfants pleurent sur le chemin, aucun parents autour, laissant présager qu'ils sont au

mieux perdus dans cette foule, au pire orphelins. Ils auront néanmoins échappé à un exil plus

lointain: nombreux enfants de républicains se retrouvèrent en effet envoyer en URSS, pour raisons

de sécurité. En effet, suite aux bombardements de Guernica, suite aux décisions du gouvernement

basque et gouvernement républicain, une campagne fut menée pour envoyer les enfants à l'étranger:

30 000 partirent dont 3000 en Union soviétique, ceux-là ne retournèrent pas en Espagne après la

guerre civile.4 Au milieu de cette foule, une femme portant un bonnet frigien accompagnée d'un

lion, semble symboliser la République certes en déroute, tenue en échec par les fascistes, mais

malgré tout vivante, puisque ses idées n'ont pas disparues, défendues par ces hommes et ces femmes

qui partent trouver refuge en France. A noter que le lion est fréquemment utilisé pour signifier

certes la force, mais aussi la régénération, le renouvellement. De plus, les sculpteurs convoquent

également la figure de Marianne, symbole de la révolution et république française. Les deux

cultures, les deux histoires semblent donc s'entremêler. Derrière eux, une meute de loups les a pris

en chasse, symbolisant les dangers courus par la population et ces anciens soldats poursuivis par

l'armée franquiste. Soldats franquistes qui arrivèrent bien à la frontière et dont certains officiers

rencontrèrent leurs homologues de la gendarmerie française, signe d'une première reconnaissance

du Régime franquiste et de sa victoire. Sans évoquer les répressions dont furent victimes les Républicains et leur famille, les deux artistes convoquent pour les visiteurs une menace et une peur

bien ancrée dans nos mémoires, grâce notamment aux contes et aux légendes où le loup tient le

mauvais rôle. Ce n'est pas non plus sans rappeler la chanson de Reggiani, « Les loups sont entrés

dans Paris », dont les paroles furent notamment interpréter comme une allusion aux soldats

allemands occupant Paris durant la seconde guerre mondiale. Anachronisme des évènements

historiques certes, mais ici il s'agit de convoquer plutôt la mémoire collective et une nouvelle fois

de mêler les deux histoires, française et espagnole.

Sur des ensembles plus petits, posés en hauteur, de façon à attirer notre regard, des groupes

semblent s'être arrêtés dans leur course effrénée, leur fuite en avant, recréant un lien social et

solidaire, à travers peut-être une discussion. Est-ce là une évocation des associations de réfugiés,

des anciens syndiqués ou soldats qui tentent de maintenir un lien malgré l'exil, malgré la difficulté à

recommencer une nouvelle vie? Aucun indice ne nous a été laissé, puisque comme les plus grands

ensembles, ces groupes se composent d'individus divers et variés: soldat, ouvrier, musicien, etc. Ils

ne sont pas non plus sans rappeler les milices du tout début de la guerre civile: gardes civiles fidèles

au gouvernement, ouvriers, paysans, artistes, étrangers, femmes, petite bourgeoisie et d'autres, tous

se battant contre le coup d'état des généraux-réunissant soldats et officiers de l'armée espagnole,

soldats italiens et allemands ainsi que des Maures-, une armée plus expérimentée en somme.

Gloria aborde également la Retirada à travers des tableaux colorés. Ses tableaux

jouent presque tous en effet sur les trois couleurs du drapeau républicain: rouge, jaune et violet.

Contrairement aux sculptures, les personnages sont de dos, foule anonyme dont on ne distingue que

la chevelure, quelques coiffes et paquets ou ballots portés sur l'épaule. Le dernier tableau a évoqué

cet exode est celui d'Ana, en noir et blanc, tel un photogramme de film documentaire ou une

photo de Capa. Il rappelle plus simplement l'hiver qui sévit. Elle ne fait que de vagues silhouettes,

personnages perdus dans le froid, là aussi foule d'anonymes, citoyens ordinaires en quelque sorte

subissant une catastrophe. Cet anonymat renforce sans doute le sentiment de déjà-vu que nous

éprouvons. Ce tableau nous renvoie, comme je l'ai déjà signalé à des photographies bien inscrites

dans la mémoire collective. En effet, la presse de l'époque a largement relayé les informations sur la

guerre civile espagnole, sans oublier les discours de propagande de certains journaux. Ainsi, presse

écrite, revue illustrée, actualités filmées ont fait naître à cette époque une iconographie importante

et notamment sur les thèmes des bombardements civils (motif du regard jeté vers le ciel) et

l'exode. Pour chacun d'entre nous, du fait de la migration de ces images, nous reconnaissons à coup

sûr ce type d'évènement, quel que soit l'époque donnée et le conflit. A ce propos, je me réfère

notamment aux travaux de Vicente Sanchez-Biosca5, professeur à l'Université de Valence, et depuis

l'an dernier à l'Université de Paris 3.

Concernant les bombardements, une seule peinture de Gloria revient sur le sujet, il s'agit de

«Chemins d'Exil- Bombardés ». Comme dans les photographies, il s'agit bien sûr de l'après

bombardements, des ruines, des bâtiments brunis, assombris par le feu, et dans le lointain des

flammes encore vives. Là se pose, un autre problème: comment témoigner d'un événement qu'on ne

peut rendre visible? (si ce n'est par le témoignage oral ou écrit, même si là aussi il s'agit bien

souvent de l'après bombardement). Le non-dit, le non-visible sont donc comme incarnés par ces

traces, ces résultats, conséquence de l'attaque ennemie.

L'expérience des camps n'est évoquée que dans deux tableaux de la fille de Francisco. Celui

d'Argelès fait apparaître dans le sable une empreinte de pas, certainement une botte. Le visiteur peut

en conclure qu'il s'agit d'une botte de militaire. S'agit-il de celle d'un ancien soldat républicain et

plus particulièrement de son père, ou de celle d'un gendarme français, chargé de surveiller le

camps? Là encore l'absence d'information permet une ouverture de lecture, encadrée néanmoins par

le titre du tableau. Le second évoquant le camp allemand est beaucoup plus sombre, le gris et le noir

ont envahit la palette de couleur de l'artiste, notant ainsi la grande différence de traitement des

prisonniers, sans compter les difficiles conditions de survie. Les internés des camps français

bénéficiaient en effet de l'aide de leurs compatriotes arrivés depuis plus longtemps en France,

organisés en association. Cette information nous est donnée par les panneaux d'affichage

accompagnant l'exposition6. Le dernier peintre de la famille (Jérémie)s'attaque à l'évènement de

l'attaque de l'Ebre, se démarquant ainsi sans doute de la mémoire familiale. En effet, les plus

attachés à cette mémoire, sont pour moi Ana et Clément. L'attachement de Clément tient plus à la

matière qu'il travaille: la vidéo, les images d'archives familiales qui plus est. Si ce n'est sa vision de

la Retirada, Ana est plus attachée à la mémoire des aïeux: ainsi ses grands-parents, arrières grands-

parents et oncle se retrouvent représentés, comme un dernier hommage à ce qu'ils représentaient.

A noter, que ce travail n'est pas anodin. Sont regroupés d'un même côté toutes ces figures familiales.

Il y a un travail sur les grands-parents seuls, un avant après, avant l'Espagne et la jeunesse, ensuite

la France et la vieillesse , mais aussi un travail sur ce qu'ils sont devenus. Les tableaux des arrières

grands-parents et oncle ne révèlent que la dernière photographie connus des uns et de l'autre, avant

la guerre et la répression franquiste. Parce qu'ils ont pu fuir en France, Francisco et Gloria ont pu se

rencontrer, fonder une famille, et surtout transmettre leurs valeurs et leur histoire.

Mais revenons au tableau de Jérémie, dans les couleurs employées et le travail de la lumière, il

rappelle la Retirada vu par Ana. Au premier plan, figure une mule morte, immense couvrant une

bonne partie du tableau. Il faut se concentrer pour distinguer dans le fond, un groupe d'hommes

armés qui avancent vers nous. Son autre tableau est encore plus ouvert puisqu'il évoque le souvenir

au sens large, le passé, la mémoire. Dans l'eau, un enfant nage éclairé par la lune.

Une femme habillée à la mode des années 30, est collée, minuscule en haut du tableau. Son reflet

semble être le lien entre l'enfant et cette époque lointaine.

Autre artiste visuel à intervenir, François s'attaque quand à lui au fascisme au sens large,

au stalinisme mais aussi à toutes les formes de dictatures ou d'oppressions. Ainsi, nous retrouvons

pelle-mêle: la religion catholique, la société de consommation, le ku Klux Klan, tout ce qui met un

frein à l'homme, ce qui peut l'asservir physiquement, psychologiquement voire les deux. Parfois

naïf (il n'a que 22 ans), toujours ironique, il s'écarte lui aussi de l'histoire familiale pour des combats

ou des idées plus vastes, certes combattues ou défendues par son grand-père. Il s'inscrit dans la

lignée des combats passés tout en se les appropriant, signe que la transmission a bien été faite et

assimilée. Il rejoint par là, le travail réalisé par Raphaël. Malgré les difficultés à cerner, interpréter

une composition musicale, la courte note d'intention, en guise de cartel, de l'auteur nous indique

comment la lire7.

Je voudrai maintenant m'attarder un peu plus sur le montage vidéo réalisé par Clément. Il a su mêlé

témoignages du grand-père, recueillis et filmés par le gendre -tout reste donc au sein du cercle

familiale- et film de famille standard, si on peut dire, puisqu'il s'agit d'une réunion de famille au

moment de Noël. Ce montage permet de casser le dispositif d'une interview filmée. Il permet

également de casser le caractère exceptionnel de la vie de Francisco: son engagement sans faille

dans la défense de certains idéaux qui sont l'humanisme, l'entraide, un meilleur partage des

richesses, comme il le dira lui-même dans l'un de ses témoignages filmés, également son courage.

Mais comme le dira si bien le Négus -titre de noblesse éthiopien-, « il n'y a pas tant de courage que

ça dans le monde: et avec le courage, on fait quelque chose! »8. En faisant ce montage, il semble

essayer de le ramener vers les hommes ordinaires.

Le montage vidéo fait également bien ressortir ce mécanisme de l'oubli grâce à une construction

de toute pièce. En effet; grâce à un cut lorsque le grand-père semble avoir oublié, un détail

important de sa vie, laissant place à quelques plans de cette réunion de famille au moment des fêtes,

nous le retrouvons toute suite après, avec le détail qui faisait défaut auparavant.

Vraisemblablement, le vidéaste joue donc avec les attentes du public et ce à double titre: nous

voulons savoir, connaître l'expérience de Francisco, nous présumons qu'après tant d'années il est pu

oublier quelque chose. Sur un autre registre, le visiteur se retrouve dans la position des enfants et

des petits enfants pour qui il fut difficile de savoir d'où ils venaient au travers de ces expériences

passées. Pour de nombreux visiteurs, cette position les ramènera à leur propres difficultés à

comprendre leurs origines, les ramenant à leur propre mémoire familiale. Et du fait de cette

ouverture vers l'autre, du fait que cela parle à leur propre mémoire, il est possible pour quelques

instants de créer une mémoire collective. A noter également, que le témoignage du grand-père est

certes encadré par le cercle familiale, mais il s'adresse a un membre plus éloigné en quelque sorte

puisque c'est le gendre qui sert de relai entre les questions du reste de la famille et les réponses

données par le grand-père. Il est tout aussi remarquable que pour certains petits enfants il leur a été

nécessaire de faire leur propre expérience ou recherche de ces événements afin de pouvoir mieux

les assimiler. Le fait d'en témoigner en éprouvant le besoin de créer montre: d'une part, qu'il est

difficile et ,sans doute, d'une certaine manière, douloureux d'en parler malgré le temps qui s est

écoulé; d'autre part, que le vecteur art s'est sans doute imposé de lui même et est ici le meilleur

moyen de mêler ces niveaux de mémoires par la distance ainsi créée.

J'ajoute enfin que Francisco Castillo ne dit que très rarement « je » dans ses témoignages filmées. Il

utilise surtout le « nous » ou « on »: il fait parti d'un groupe, il ne s'agit pas d'un destin individuel

bien au contraire. C'est d'un destin collectif dont il parle ici, celui d'un grand nombre de personnes

unis dans la lutte, la défaite aussi, l'exil, l'enfermement, parfois la mort.

Il revient donc brièvement sur les évènements, une sorte de synthèse passée au filtre de

l'autocensure en quelque sorte et du temps qui s'est écoulé.

Dans son témoignage de 1979, bien que bref, il eut plus de faciliter à parler à la première personne.

La page blanche, le fait qu'il soit seul au moment de l'écriture, lui ont sans doute permis de livrer

plus librement ses pensées et points de vue. La notion de groupe revient dés qu'il évoque ses actions

de résistants, parfois il s'efface même au profit de détails techniques. L'autocensure est également

très palpable, lors de souvenirs douloureux, esquisser en quelques mots. Par exemple, lorsqu'il

évoque la fuite des civils et soldats républicains: « Les bateaux de guerre franquistes bombardaient

et mitraillaient sans cesse, jour et nuit, à moins de deux mètres de la foule. Les massacres et les

horreurs que j'ai vu, je n'ai jamais pu les effacer de ma mémoire. 9»

Un dernier mot enfin, pour insister sur le fait que ces évènements ont mis du temps avant d'être

connus par le grand public, sans doute qu'un grand nombre encore n'en a qu'une vague idée.

A l'instar de ce plasticien espagnol, beaucoup pourraient formuler cette phrase:

« Pour ma génération, celle qui est née à la fin du vingtième siècle, la guerre espagnole ne

représente pas une période marquante de l'histoire (et j'en suis désolé): elle n'occupe qu'un ou deux

paragraphes dans les livres d'école et ressurgit dans le souvenir anecdotique de quelques unes de ces

icônes. »10

Mais malgré tout, nous connaissons ces images, ne serait-ce parce que ce type d'évènements a eu

lieu ailleurs depuis. Nous sommes confrontés au même foule d'anonymes contraints à l'exil, aux

camps de réfugiés, à des populations civiles qui sont prises pour cibles. Que ce soient l'ex-

Yougoslovie, le Rwanda, le Darfour ou la Lybie – les medias nous livrent -à peu de chose près-

les même « repères visuelles », si je peux utiliser ici cette expression. Il est indéniable que l'histoire

visuelle a pris une grande place durant le XXe siècle, et ce notamment grâce à la multiplicité des

supports.




Ainsi donc, comme j'ai tenté de le démontrer, tout au long de ce compte rendu, l'exposition

s'évertue à travailler sur tout type de mémoire: individuelle, familiale, nationale, européenne,

collective, universelle en quelque sorte. De ce fait, malgré les oublis, les blancs volontaires ou

involontaires laissés par les témoins, les descendants et les vecteurs de transmission (les œuvres

d'art donc), il est facile de comprendre les nombreux évènements qui nous sont dépeints ici;

d'autant plus que nous sommes face à des icônes de cette histoire visuelle dont je parlais

précédemment. Les émotions et sensations convoquées ne sont pas un frein à cette apprentissage,

loin de là, d'autant que le texte des affiches, garant de sérieux et de sens supplémentaires-des

compléments de savoir en quelque sorte- permettent de réajuster nos perceptions et interprétations.
Elle rentre également totalement dans la politique patrimoniale de ce musée, de la France et de ce

qu'il se passe un peu partout en Europe. En effet, même si ce n'est pas son but premier, elle redonne

une certaine image de la France, peut-être même celle imposée par la France gaulliste de l'après-

guerre. Mais je ne pense pas que ce soit l'unique raison pour que le musée est donné carte blanche à

cette famille d'artistes. L'exposition va bien au delà de cette image simple, ce consensus, déjà remis

en question.

Cette transmission, apportant donc une meilleure connaissance, permet -selon moi- une certaine

réconciliation, un certain apaisement tant au niveau nationale qu'au niveau internationale. Ceci est

déjà beaucoup pour ces Républicains espagnols, exilés ou non, ces résistants étrangers, et leur

famille.
Elle tente en plus de transmettre les mêmes idées ou valeurs, que celles déjà transmises par le musée

à travers des deux figures de Jean Moulin et du Général Leclerc: la résistance, la lutte contre le

fascisme, une certaine solidarité, enfin un humanisme; ces valeurs, si bien incarnées dans la figure

de Francisco Castillo Guerrero. Il est notre fil conducteur durant toute notre visite. Il fut fil

conducteur pour ces huit personnes, ayant permis leur recherche et leur création.

C'est cette figure que nous retiendrons, plus peut-être que les évènements eux-même.

Ce citoyen ordinaire participant à l'Histoire, nous le faisons héros malgré ou à cause de sa modestie,

de sa difficulté à dire. Nous retiendrons également la tendresse et l'admiration palpable que ces huit

artistes ont pour Francisco et Gloria. Ces deux visages risquent de nous accompagner encore un bon

moment, nous reliant ainsi à leur histoire et à celle de ces anonymes.

Il serait intéressant enfin de voir si cette exposition visite d'autres lieux et choisit de s'implanter

dans d'autres endroits du globe, afin de voir, si effectivement nous avons bien une mémoire

universelle en somme de tels évènements.

A partir de là, nous touchons à d'autres domaines que l'Histoire et la mémoire, d'autre domaines

aussi que l'art ou la culture qu'il serait intéressant d'étudier à travers pourquoi pas des discussions

communes. Sans doute des champs de recherche aussi vastes que le sociologie, la psychologie, la

philosophie, voire la politique y trouveraient là un bon début de discussion... Mais certainement,

qu'à leur manière, et sans en être totalement conscient, nos huit artistes ont distillés un peu de ces

domaines de recherche.