mercredi, mars 21, 2012

Indignados de Tony Gatlif


Avant tout, il s'agit de suivre les pas ou plutôt la course de Betty, sans papier, immigrée africaine, mais est-ce important de connaître son origine? A travers son périple en Europe, on découvre avec elle la révolution tunisienne, les indignés de France, Grèce et d'Espagne. Ses yeux sont nos guides, ainsi que certains passages du livre de Stéphane Hessel, "Indignez-vous", tel un fil d'Ariane.

D'abord une plage ensoleillée, quelque part. Pas de rires d'enfant, de plan sur l'horizon où ciel et terre se confondent. A la place, le bruit des vagues et des gros plans sur des chaussures qui s'échouent, loin de leur propriétaire, jamais de paires. Danger du périple et de la mer,la mort frappe avant l'arrivée. Des eaux surgit enfin une survivante, Betty, forte et fragile à la fois, courageuse et d'une certaine manière dans l'obligation de réussir son périple; tout son village compte sur elle et croit en elle.
Champs de blé où elle se repose quelques instant. Dans ce film, ce champs est synonyme d'apaisement, de joie, de liberté.
Voyage en train sans horizon, à la place gros plan sur le visage de notre héroïne anonyme, à travers la vitre du wagon, elle paraît déjà en cage. Arrêt dans une ville sans nom, dernière station pour bon nombre d'immigrés qui stagnent ici, squattant de vieux wagons abandonnés et rouillés. Plusieurs inserts se concentrent sur les maigres biens amassés ici: vieux matelas, casseroles,couvertures... Puis du fil barbelés, empêchant l'entrée dans un port, étape nécessaire pour continuer la route.
Nous apprenons alors que nous sommes en Grèce.
Première arrestation,à la faveur d'une courte halte devant la porte d'une association humanitaire, fermée faute de personnel ou bénévole à l'accueil.
Ce qui m'a choqué, c'est que ces deux flics sont en civils sans brassards, juste cette question "tes papiers"... Tutoiement de rigueur pour ceux qui sont traités plus durement que des animaux domestiques. Pas de traducteur, empreintes prises dés l'arrivée au poste. Elle a droit par contre à un appel avant la prison/centre de rétention. Dans cette autre forme d'enfermement, Gatlif en profite pour filmer le visage d'autres immigrés. Tous ont le même regard, celui de la désillusion.
Puis vient le départ, l'obtention d'un papier (pas très utile pour tous ces hommes et ces femmes).
Une canette roule sur des pavés (Betty boit toujours des canettes de soda). Il est facile de reconnaître Paris, ville humide et grise, pas un chat dans les rues, si ce n'est les exclus. Gatlif nous les présente à sa manière: matelas, tentes, coins de rue ou d'une fontaine, tous vidés de ces habitants, simplement un prénom ou un surnom et un âge. Parmi ces personnes que beaucoup regarde avec indifférence ou ne regarde plus: des immigrés, des femmes, des enfants, des hommes qui ont échoués là depuis des années. Betty connaîtra ce même sort. Elle s'enthousiasme pourtant pour la révolution en Tunisie ou les Indignés de la Bastille qu'elle observe de loin. Et comment pourrait-elle faire autrement, en étant traquée?
Seconde arrestation, tutoiement d'une flic qui s'impatiente de ne pas obtenir de réponse. Elle reste froide face à cette jeune femme. Cette fois, il y a la présence d'une traductrice. Un gros plan sur son visage montre la difficulté de son emploi et qu'elle n'a pas encore perdu tout signe d'humanité.
Retour en Grèce où le peuple manifeste contre les mesures d'austérité. Là aussi, Betty ne sera que spectatrice. Vendeuse de bouteille d'eau, elle retrouve l'espoir au détour d'une rencontre et c'est le second départ via un ferry, cachée sous un camion...Au risque de sa vie donc.
L'Espagne enfin. Un cours d'eau, un pré, un autre passage de calme et de sérénité pour cette jeune femme. Elle reprend sa marche et rejoint enfin les indignés espagnols. D'autres rencontres, pendant de brefs instants, il est question de partage et de solidarité. Pendant de brefs instants aussi, Betty n'est plus seule.
Après la dissolution du rassemblement par les autorités, elle sera de nouveau seule dans une ville fantôme. Des immeubles entiers n'ont jamais été habités, des locaux commerciaux n'ont jamais fonctionné. Une prison à ciel ouvert en somme.
Ultime dénonciation dans ce film des projets immobiliers qui continuent de foisonner, malgré la crise ou mis à mal à cause de la crise et des lendemains qui déchantent.
Un film magnifique où la dure réalité se teinte parfois d'espoir et d'enthousiasme, de poésie surtout propre à Gatlif. Poésie de ce champ de blé, de ces papiers multicolores qui recouvrent ce qui reste d'un immeuble, de la musique et de ce passage comme déconnecté du reste où une jeune femme danse le flamenco, jolie métaphore des oranges "cavalant" dans des rues en pentes pour prendre une barque ou tomber à l'eau, lors de la révolution tunisienne. Métaphore rappelant une nouvelle fois le sort des immigrés s'échouant sur des plages ou des îles européennes, notamment les jeunes tunisiens tentant de gagner l'Europe via Lampedusa.
Un film à voir de toute urgence pour peut-être s'indigner enfin, s'indigner encore et rejoindre les mouvements un peu partout en France, dont les masses média ne parlent jamais (ou presque).
Un film qui encourage à plus de fraternité et qui nous dit de ne pas baisser les bras à l'instar de Betty qui sans cesse répète "ça ira, ça ira" (mots qui pourraient rappeler une certaine chanson révolutionnaire...)

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