mercredi, mars 07, 2012

"Fatma"



Le théâtre Berthelot, à Montreuil, a eu la bonne initiative d'inviter, à l'occasion de la journée de la femme, et ce pour deux jours consécutifs et trois représentations gratuites, l'équipe de "Fatma". Sur un texte magnifique de M'Hamed Benguettaf, l'actrice Diariétou Keïta incarne avec talent et brio Fatma, femme de ménage à la mairie et au ministère. Une fois par mois, Fatma retrouve un peu de liberté sur la terrasse d'un immeuble, où elle fait sa lessive. Cette terrasse, c'est son refuge, son isoloir, son défouloir. Là, elle se souvient, elle parle, elle prend du temps, elle rit des autres y compris de ses supérieurs hiérarchiques. Et le public rit avec elle. Il y a des phrases qui sont restées dans mon esprit (sans doute un peu déformées), trois surtout: "hurler pour sauver mon âme", "je lui aurai raconté l'histoire de ces ancêtres, cavaliers qui combattaient l'obscurité avec leur plume de savoir", "regarder loin jusqu'où la mer embrasse le ciel".
Beaucoup de dérision dans cette pièce, pourtant il y aurait de quoi se plaindre, de quoi pleurer, de quoi jouer les victimes. Mais Fatma, n'est pas de ces gens là. Elle accepte sa destinée tout en posant un regard lucide sur le monde qui l'entoure et sur sa place dans ce monde. Une place infime, parce qu'elle est femme et parce qu'elle est femme de ménage. Ainsi, elle ressent doublement les humiliations quotidiennes des "Mme de" ou se pensant comme telle, du petit personnel surtout jouant les petits chefs (le chauffeur, l'employé du ministère). A travers des anecdotes truculentes, elle nous évoque également la femme répudiée devenue folle et qui prend les attributs de son mari policier (sifflet, carnet de contraventions) pour peut-être exister, la fille reniée à la puberté et vite mariée. Non, nous ne pleurons pas mais nous comprenons la violence que ces femmes subissent, le pouvoir de certains hommes et du gouvernement... inégalités qui passent les frontières et les religions. Ainsi, les frères de Fatma ont honte d'elle, du fait de son métier, celle-ci ironiquement évoque sa maigre fiche de paie, humiliation de son supérieur (odeur) et mise à pied du fait sans doute de son insolence (elle ose répondre). Fatma veut plus de justice, moins d'humiliations, sans doute voudrait-elle rencontrer cette "démocratie", nouvelle mode dans son pays mais qu'elle ne connaît toujours pas. Elle réclame qu'on lui donne plus d'esprit. Pourtant, elle a su garder sa liberté. Elle courbe l'échine mais son esprit n'est pas atteint. Son métier lui a permit sans doute d'échapper à une sorte d’embrigadement. Son éducation également, puisqu'en effet elle a pu poursuivre des études jusqu'à la disparition de son père. En effet, elle est beaucoup plus libre que ces militantes qui lui rendent visites et qui servent chacune le discours d'un obscur président, d'un homme donc. Dans l'ordre, se suivent chez elle la militante progressiste, la militante musulmane et pratiquante, enfin la patriote progressiste, drôle malgré elle.
Durant la pièce, la comédienne nous offre également de beaux moments de tendresse. En effet, Fatma évoque pour nous son oncle ainsi que son père: tous deux généreux et ayant une haute opinion des femmes. Elle évoque également son amour de jeunesse et l'enfant qu'elle aurait voulu avoir, une fille, comme le prolongement d'elle même.
Une petite fille qui aurait connu des contes et les histoires de ces ancêtres: cavaliers et femmes combattantes maniant le sabre. Une fille à qui elle aurait donné tout son amour, ses valeurs. On s'envole avec elle, on voit cet amour mère fille, on entend ses histoires qui aident à endormir, à rêver (elle qui aimerait tant rêver)et ses berceuses si douces.
On s'envole également lorsqu'elle s'évade tel un oiseau du haut de sa terrasse jusqu'à l'horizon. (Heureusement, il n'y a pas de gratte-ciel pour lui boucher la vue.)
Dernière berceuse, la lumière s'éteint petit à petit. Seuls pétillent encore les yeux de l'artiste. A l'image de Fatma, elle porte seule ce texte, durant un peu plus d'une heure, qui passe désespérément trop vite. Elle nous donne tant d'amour, de bonheur que l'on reste sur notre faim. Nous quittons avec peine la salle, revenant petit à petit à la réalité de notre pays bien froid, manquant de chaleur et de rires, manquant d'égalités et de justice sous ses airs de démocratie.
Sa voix nous accompagne encore le temps de rejoindre les transports... et le lendemain, des interrogations, des sourires, une tendresse pour toutes ces "Fatma", femmes de ménage ou pas, ces êtres qui subissent, courbent le dos mais gardent la tête haute.
Un spectacle à montrer dans les collèges, centres de loisirs, bibliothèques, associations, etc à voir en famille
Un texte à lire et étudier...
Une magnifique pépite offerte aux montreuillois et aux voisins de cette commune du 93

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