mardi, avril 27, 2010

liberté de Tony Gatlif


C'est un film poignant, un film qui tente de raconter ce que nous avons fortement tendance à oublier dans nos livres d'Histoire ou à résumer en quelques lignes voire en quelques mots.


Très vite, le sujet est donné, dés l'ouverture du film.


Plan rapproché de barbelés laissant voir un camp. Neige et vent envahissent ce triste décor et, soudain une musique. C'est que le réalisateur ne tient pas à s'attarder ici. Il préfère se souvenir de la vie de ces déportés, de leur joie de vivre, de leur mode de vie. Parce qu'ils ont apprivoisé la musique comme certains les mots, c'est celle ci qui sera leur voix pendant tout le film. Les barbelés se transforment alors en cordes, celles d'un piano puis celles d'un instrument à cordes.


Et puis enfin, ils apparaissent. Une famille entière une tribu comme les autorités le disent, traversent un sombre tunnel dans leur roulotte. Avec eux, ou plutôt non loin d'eux, un orphelin dont on comprend très vite qu'il connaît déjà les horreurs de cette guerre pas comme les autres.


Ce "gadjo" est rapidement pris sous l'aile ou plutôt les ailes de notre famille même si certains pensent qu'il n'est pas à sa place. Première discrimination fragile face au sentiment fraternel qu'il semble susciter chez les autres. Entre opprimés, la compréhension, l'entraide semblent vouloir naître.




Premières répressions du gouvernement français: la carte d'identité anthropométrique des nomades, l'obligation d'obtenir un "visa" de tous les endroits où ils font halte, la loi visant à interdire leur mobilité.


Autant dire que c'est une première condamnation à mort de ces peuples: leur donner des papiers, les identifier coûte que coûte, les parquer enfin dans des zones connues par la police et la gendarmerie.


Étrange similitude entre ce qu'ils ont subi hier et ce qu'ils subissent aujourd'hui...par extension, on pourrait dire que toutes ces lois visant à nous "protéger" ou nous suspecter, selon le point de vue, nous ramène tous dans une époque peu glorieuse et pour la France et pour l'Europe entière. Citons pèle-mêle: la multiplication des caméras de surveillance, la multiplication des contrôles d'identité (via cartes d'identité, passeports, cartes de séjour, titres de transport...), lois visant à nous surveiller sur internet, les centres de rétention administratif... Tout citoyen devient suspect de par sa couleur de peau, son pays d'origine, sa religion, son point de vue politique. Réminiscence donc de vieux spectres que l'on croyait avoir chassé pour de bon.




Secondes répressions, les plus visibles bien sûr: arrestations musclées (avec les gendarmes français en première ligne) et la déportation dans des camps... Là aussi les similitudes avec certaines démocraties libérales ne peuvent laisser indifférents.




Dernière enfin, la mise à mort d'un des tziganes par un officier allemand, parce qu'il ne voulait pas quitter son camps, son mode de vie. Abattu comme un chien, c'est symboliquement la liberté que l'on voit mourir sous nos yeux. "Taloche", comme on le surnomme, adulte-enfant, un peu fou qui ne comprend plus rien à ce monde qui l'entoure ne saisit pas qu'on puisse vouloir l'enfermer entre quatre murs, même pour son bien. En effet, il est le seul à rester au pas de la porte de la maison "vendue" par le maire du village à la matriarche, afin que toute la famille puisse sorti du premier camp où ils sont enfermés. Les initiales RF apparaissent bien à l'écran d'ailleurs, au cas où nous aurions oublié que de tels camps existaient un peu partout sur le territoire français.


C'est lui aussi qui traverse en pleine crise de folie ou de transe -selon qu'on le voit comme un fou ou comme une sorte de chamane proche des éléments de la nature -un tunnel et un chemin de fer, retrouvant tout à coup une montre gousset d'un homme sans doute déporté. Sinistre prémonition de ce qui les attendent à deux reprises.


A travers lui, c'est tout un peuple qui s'exprime, parfois juste dans un cri terrifiant, une complainte, une sourde souffrance face au joug de la "normalité" d'un État répressif.


Car en plus de ces répressions administratives, c'est le regard de tout un chacun qui est remis en cause ici.




La grande majorité des habitants se méfient de ces gens. Pas de domicile, pas de réels noms -si ce n'est sur les papiers qu'on leur impose-, pas d'instruction, des musiciens, "voleurs d'enfants", aux pouvoirs étranges, comme celui de faire pondre des poules grâce à quelques airs sur leur instrument. Superstitions, légendes, préjugés suscitent bientôt la haine y compris chez les "puissants" de la région, sous entendu plus éduqués et instruits qu'un simple petit fermier. C'est pourtant le grand propriétaire, l'ancien "ami", qui sera le premier à donner aux autorités la "vermine" comme il le dit, juste par intérêt économique. Il est vrai que l'argent a depuis bien longtemps fait faire de drôles d'alliances. Se retrouvent collaborateurs des gens qui, au départ, n'étaient pas convaincus par des discours totalitaires, extrémistes... Là aussi nos dites démocraties se sont plusieurs fois brillamment illustrées.


A travers ces regards d'autrefois, ce sont aussi nos propres regards sur ces populations qui sont remis en cause. Combien de fois chassées en cette fin de XXème et début XXIème, combien de fois entendrons-nous que nos impôts locaux servent à payer des camps offrants eaux courantes et caravanes à ces "gens-là"-dans la ville de Montreuil, par exemple-, combien de fois subiront-ils encore le regard haineux de certaines personnes parce qu'ils mendient ou jouent de la musique ( y compris moi parfois).


Grave retour en arrière, fantômes qui ressurgissent ou lente progression de l'être humain vers un idéal d'humanisme ou d'humanité? Le film ne le dit pas, et j'ai sans doute mis ici beaucoup de mes interrogations et observations personnelles.




Ce que dit le film, c'est sans doute une des dernières répliques de Taloche qui le résume bien. S'adressant aux siens à la fin du film sur le sort à réserver à l'orphelin:"il reste, c'est mon frère."C'est donc un bel hymne à la liberté et à la fraternité que nous offre ici Tony Gatlif.




Enfin espérons que ce film et les ouvrages parus autour du film permettront de ne plus mettre de côté les gitans, Roms ,Tsiganes et nous les feront voir d'un autre oeil.


Rien n'est plus terrible que l'aveuglement consolateur pour que certains dorment sur leurs deux oreilles ou pire le déni pur et simple de ce que subissent certains pour ne pas à avoir à remettre en question nos modes de fonctionnement.




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